Utilisez les lactates pour progresser
On a longtemps cru que le lactate était un simple déchet responsable des courbatures. On sait aujourd’hui qu’utiliser cette molécule permet au contraire de courir plus vite et plus longtemps. Explications.
Avant toute chose, clarifions une confusion fréquente : lactate et acide lactique ne sont pas synonymes, même si le second est encore souvent utilisé à tort. L’acide lactique en tant que molécule, se dissocie quasi-immédiatement dans le sang en lactate (forme ionisée) et en protons H+.
Ce sont ces protons, et non le lactate lui-même qui sont responsables de l’acidification musculaire et de la sensation de brûlure à l’effort.
Le lactate, un déchet ? Non, un carburant !

Le lactate, lui, est une molécule stable, transportable et réutilisable par l’organisme. Ce n’est pas le résiduel d’effort responsable des douleurs musculaires, comme on le pensait autrefois. Grâce aux travaux scientifiques on sait aujourd’hui que le lactate est au contraire un carburant précieux, utilisé en priorité par le cœur, les fibres musculaires lentes et même le cerveau.
Dès les années 1980, le physiologiste George A. Brooks a démontré via sa théorie du « lactate shuttle » que le lactate était transféré entre les cellules et réoxydé comme substrat énergétique. Ce n’est donc pas un déchet, mais un produit de la glycolyse anaérobie utilisé efficacement par l’organisme.
Lactate, un levier de performance
Si l’on résume plus simplement, cela signifie qu’un coureur qui apprend à gérer sa production et son recyclage de lactate peut améliorer sa capacité à soutenir des efforts prolongés à intensité élevée. Mais surtout, il développe une efficacité métabolique supérieure, c’est-à-dire que ce coureur sera capable d’utiliser chaque molécule de glucose de manière plus rentable.
Dans ce cas, les sensations évoluent alors nettement durant l’effort : moins de détresse respiratoire à allure soutenue, moins de « coup de bambou » en fin de sortie longue, un meilleur contrôle de l’effort, même dans les phases de relance ou en fin de course.
Comprendre le lien avec le seuil ventilatoire

La production accrue de lactate correspond, chez la majorité des coureurs, au seuil ventilatoire 2 (SV2). Il s’agit du moment où la ventilation augmente de manière disproportionnée par rapport à la consommation d’oxygène.
Ce seuil 2 reflète un basculement métabolique. En effet, le corps passe d’une production d’énergie principalement aérobie à une composante anaérobie marquée. Il correspond généralement à une concentration sanguine de lactate autour de 4 mmol/L, mais varie selon les individus.
Comment doser son lactate ?
En laboratoire

La méthode la plus précise reste le test en palier sur tapis, en laboratoire. On augmente la vitesse toutes les 3 minutes, avec un prélèvement sanguin entre chaque palier. Le point où le lactate sanguin décolle (> 4 mmol/L) correspond au seuil anaérobie.
Les coureurs avertis peuvent utiliser un lecteur portable (par exemple Lactate Plus) pour estimer ce seuil en solo. Cela permet d’adapter finement les allures d’entraînement en fonction de la réaction individuelle à l’effort.
Sur le terrain, en 20 minutes
Il existe également d’autres méthodes, dites indirectes, comme le test de 20 minutes. Cette méthode validée scientifiquement est utilisée dans de nombreux protocoles d’entraînement. Il s’agit de courir 20 minutes à l’effort maximal soutenable, c’est-à-dire entre 6 et 7 sur une échelle de 10 en termes de ressenti à l’effort (RPE). La vitesse moyenne est mesurée et on estime que la vitesse au seuil correspond à 95 % de cette vitesse.
Pourquoi s’entraîner avec le lactate ?

S’entraîner en jouant avec ses niveaux de lactate, c’est façonner un moteur capable de mieux réguler son carburant. Plus que le travail au seuil en soi, c’est l’attention portée à la production et au recyclage de ce lactate qui fera progresser.
Effets concrets
- Meilleure stabilité de l’allure sur 10 km, semi ou marathon.
- Retard de l’apparition de la fatigue musculaire.
- Tolérance accrue à l’effort soutenu, même en phase d’accumulation.
Impacts sur les séances
- Un coureur habitué au lactate récupère plus vite entre les efforts.
- Il gère mieux les variations d’allure (fartlek, trail, finish rapide).
- Il peut encaisser plus de volume sans « craquer ».
Exemples de séances ciblées

Ces séances orientées autour de la production et de l’utilisation du lactate sont conçues pour stimuler le corps à utiliser ce substrat énergétique de manière plus efficace. Elles ciblent différentes capacités : production, tolérance, clairance et recyclage du lactate.
- 8 x 1 min vite / 1 min lent : augmenter la capacité à tolérer les variations d’allure et à recycler rapidement le lactate produit.
- 3 x 8 min à 90 % de la vitesse seuil + 2 x 4 min à 105 % : développer à la fois le volume et l’intensité autour du point critique de production.
- 20 à 25 min à 95 % de la vitesse du test 20′ : renforcer la capacité à soutenir un effort prolongé juste sous le seuil, sans accumuler excessivement de lactate.
- Fartlek : 3–2–1 min vite / 2 min lent (x2) : introduire du lactate de manière désorganisée pour améliorer la régulation métabolique.
- 4 x (8 min à allure légèrement sous le seuil enchaîné directement avec 4 min au-dessus du seuil, sans récupération) : sollicite une montée progressive du lactate puis oblige le corps à le tolérer et à le recycler immédiatement. Idéale pour améliorer la gestion du lactate en conditions semi-réalistes de course.
Un bon indicateur de forme
Vous l’aurez compris, le lactate n’est pas un ennemi. Il est le reflet de notre métabolisme en action, un outil d’analyse, un indicateur de forme, et surtout un levier d’adaptation.
Apprendre à connaître précisément le moment où l’on commence à en produire en excès permet d’individualiser son entraînement, d’adapter ses allures, de mieux planifier ses blocs de travail. Cela permet également de détecter une progression réelle: un seuil lactate qui recule dans l’intensité correspond à une amélioration de l’endurance et de l’économie de course.
Intégrer le lactate à sa stratégie d’entraînement, c’est entrer dans une logique de performance moderne qui s’appuie sur la science pour mieux écouter son corps. Une clé précieuse, accessible à tous les coureurs.
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Références
- Brooks GA. « The lactate shuttle ». Physiology Review, 1985 & 2020.
- Faude O et al. « Lactate Threshold Concepts ». Sports Med. 2009.
- Seiler S. « Intensity distribution in elite endurance athletes ». Int J Sports Phys Perf. 2010.
- Stöggl T, Sperlich B. « Polarized vs Threshold training ». Front Physiol. 2014.