Manon Trapp : la confirmation sur marathon
Sur le marathon à Séville le 23 février, Manon Trapp a fait des étincelles en retranchant 34 secondes au record de France de Méline Rollin. Rencontre avec cette athlète Savoyarde de 24 ans qui connaît le démarrage le plus rapide de l’histoire, affiche déjà un sacré palmarès et ne compte pas s’arrêter là.
Manon Trapp, en bref. 24 ans, licenciée au club Entente Savoie Athlé, court depuis 2017, a obtenu dix médailles d’or nationales, dont quatre sur cross (2019-2021-2022-2023), 2 sur 10 km route, 1 sur 5 km route (2023), 3 sur piste (2019-2022-2023). Elle est détentrice du record de France junior de semi-marathon.

Après un premier marathon couru 2h25’48’’ en 2023 – soit le démarrage le plus rapide de l’histoire – tu as battu à Séville le 23 février le record de France en 2h23’38’’ pour ton deuxième marathon. Ce record, qu’est-ce que cela représente pour toi ?
« C’est l’objectif que je m’étais fixé et je suis fière de l’avoir réussi. C’est une satisfaction d’avoir performé dans une discipline qui me fait kiffer au jour le jour. Le fait que ce soit sur marathon a encore plus de saveur, car on n’a qu’une à deux chances par an. Et puis, il y a tellement d’aléas autour de la course… Rien n’est jamais écrit, même si la préparation a été bonne. C’est aussi vrai que je suis jeune, que c’était mon 2eme marathon ; tout cela est encourageant pour la suite car je sais que j’ai beaucoup de marge de progression. »
Raconte-nous ta course dans les rues de Séville…
« J’ai eu de très bonnes sensations de A à Z avec un petit coup de détérioration du 18e km au 25e km, comme lors de mon premier marathon en 2023. J’ai ressenti le même schéma mais avec des sensations plus lissées, moins de hauts et de bas. Je pense que c’est parce que je savais comment se déroulait un marathon. J’étais aussi mieux préparée et je me suis mieux ravitaillée. Bon, j’ai bien eu quelques aléas. J’ai loupé une bouteille d’eau ; une autre fois, mon gel caféine est tombé, cela m’a fait perdre des glucides que je comptais assimiler.
Du côté des conditions, il y avait moins de densité qu’à Valence. Heureusement que j’avais un lièvre ! J’ai essayé de me cacher derrière lui car il y avait un peu de vent.
Quand j’ai su que j’étais dedans pour le record, je me suis sentie pousser des ailes. J’ai accéléré sur les 4 derniers kilomètres, courus en negativ split, ce que je n’avais pas réussi pour mon premier marathon. A l’arrivée, les émotions se sont bousculées. J’ai ressenti un gros soulagement et énormément de gratitude par tous les gens qui m’ont accompagné. Ça fait tellement plaisir. C’est un beau travail d’équipe qui augure de bonnes de choses pour la suite. »

Manon Trapp, ce record de France, c’est aussi une revanche, suite à ton abandon sur le marathon de Rotterdam l’an dernier, et le fait que tu n’aies pas pu te qualifier pour les J.O…
« Oui, cela a été une revanche, une course de la résilience. J’étais au plus bas l’an dernier après Rotterdam, je suis allée au bout de moi-même, trop loin sans doute. Cela a été dur. Je me suis rendue compte qu’en prenant le temps, en faisant confiance aux personnes qui m’accompagnent et en écoutant aussi ma petite voix intérieure, ça marchait.
Je savais que j’avais fait le bon choix, ce marathon à Séville a été une confirmation. Tout vient qui point qui sait attendre comme dit le dicton. Le marathon demande de la patience, mais quand on a le bon état d’esprit et qu’on est bien entouré, on y arrive. »
Tu as commencé à courir en 2017, et depuis, les titres se sont enchaînés, notamment avec quatre victoires nationales en cross avant ce record de France sur marathon… Quel démarrage !
« Tout est allé très vite en effet depuis que j’ai démarré. J’ai vite progressé mais j’ai encore des choses à apprendre. Ce qui est certain c’est que ça a été une aventure passionnante. Et ce n’est que le début ! La course à pied a pris de plus en plus d’importance dans ma vie. Elle m’a aidé à construire ma personnalité, mes valeurs, la personne que je suis aujourd’hui. »
Championne de cross, victorieuse sur les derniers 20 km de Paris, recordwoman de France de marathon… Tu es jeune et très polyvalente. Comment l’expliques-tu ?
« C’est sans doute car je n’aime pas la routine. J’aime bien me lancer des défis et me donner les moyens de parvenir à mes objectifs. Passer sur marathon était avant tout un défi. J’ai toujours eu une attirance vers l’endurance et les distances longues. La course sur route, j’adore ça. Les sensations sont cool.
La piste, je la voyais plus pour progresser, passer des caps en vitesse.
Le cross, c’est l’origine, ce par quoi j’ai commencé la course à pied, là où j’ai aimé abaisser le chrono. En variant les terrains et les distances, je dirai qu’on acquiert des compétences qui sont bonnes pour toutes les disciplines. »

Valence et Séville se disputent un peu le fait d’être LE marathon le plus rapide d’Espagne. Ton avis, toi qui as couru les deux ?
« A Valence, il y avait plus densité, moins de vent, il faisait moins chaud. Je dirai que niveau performance, j’ai préféré Valence à Séville, même si Séville gardera une place à part dans mon cœur. »
Malgré ta performance majuscule, tu restes pour l’instant sur la touche pour les Mondiaux de Tokyo, les minimas exigés étant archi-sélectifs en 2h21’13’’. Qu’est-ce que cela t’inspire ce chrono très (trop) exigeant ?
« Ces minimas extrêmement bas, je n’en prends pas compte car je ne suis pas capable de faire ce chrono. On ne fait pas ça en claquant des doigts. Cela demande du temps.
J’ai appris avec l’expérience que j’ai vécue l’an dernier qu’on ne peut pas griller les étapes. Alors je trace mon chemin. S’il y a du bon à prendre, je le prendrais. Être sélectionnée, c’est bien sûr mon objectif de l’année. Mais si la Fédération veut vraiment ce chrono, je n’irai pas car je ne vais pas recourir de marathon ces prochains mois. J’espère donc que cela passera… »
Qu’as-tu changé dans ta préparation pour ce marathon de Séville ?
« En janvier 2024, je me suis entourée d’un nouvel entraîneur expert du marathon que je connaissais déjà depuis deux ans. Sur le plan relationnel comme à l’entraînement, c’est top. Appliquer une autre méthode qui m’a été très bénéfique. Je suis aussi passée athlète professionnelle, ce qui me permet de vivre à présent à fond mon projet sportif. J’ai fait plus de stages en altitude en groupe, j’ai recours aux tests de lactate, je suis plus sérieuse dans ma pratique lorsque je m’entraîne seule. »

Est-ce qu’entre le cross, ta spécialité, et le marathon, révélation plus récente, ton cœur balance ?
« Je dirai que mon coup de cœur va au marathon qui représente des émotions que je n’ai jamais ressenties avant. Je surfe aussi sur l’euphorie de mon record de France.
En tout cas, j’aime cette épreuve autant pour la préparation, très challengeante, avec du volume, différentes allures, des séances spécifiques, que la course en elle-même où le corps dialogue avec la tête. 42 kilomètres, cela laisse le temps de penser à un tas de choses. On passe par des hauts et des bas, et j’adore cette dimension qui sollicite beaucoup l’esprit. Il faut maîtriser ses émotions, son mental, ses allures…
En cross, c’est plus instinctif. J’ai l’impression de ne penser à rien, de lâcher prise, de courir aux sensations sans me poser de questions. Cela n’a rien à voir et j’aime aussi. Je dirai donc que faire les deux, c’est pour moi un bon équilibre. »
Manon Trapp, quels sont tes prochains objectifs ?
« Le gros objectif serait les Mondiaux de marathon, mais je ne suis pas sûre d’être sélectionnée. Je vais déjà participer aux championnats du monde de cross militaire à Lucerne, 26 mars, en reprise. Ensuite, j’aimerai bien faire des 10 km pour travailler ma vitesse, c’est l’un de mes objectifs pour progresser encore sur le long terme. »