Masterclass : les 11 principes d’entraînement de Kilian Jornet

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Dans un article intitulé « My 2022 season Training and Racing », Kilian Jornet partage toutes les données de son entraînement, sa nutrition, sa gestion du stress ou encore sa récupération de décembre 2021 jusqu’à fin août 2022, période qui l’a vu gagner le marathon de Zegama-Aizkorri, la Hardrock 100 et l’UTMB.

De ce document très complet redigé en anglais pour le site open source manath.com, nous avons extrait et traduit 10 principes d’entraînement qui résument la philosophie et l’entraînement de Kilian Jornet. Chaque amateur de trail, quel que soit son niveau, saura trouver une source d’inspiration et de réflexion.

Rappel des objectifs de la saison 2022, par Kilian Jornet

L’objectif de cette saison était de bien performer à la fois sur des courses de trail courtes et longues séparées de quelques semaines. Pour cela, j’ai choisi de participer aux 2 courses courtes qui me semblent les plus compétitives (Zegama et Sierre-Zinal) et aux 2 longues qui offriraient la plus grosse compétition cette année (Hardrock 100 et UTMB).

Le planning était également intéressant car les courses étaient alternées, donc : court – long – court – long, ce qui ne permettait pas vraiment de faire un bloc pour du court et puis un autre pour du long, mais plutôt de faire des changements rapides plusieurs fois ou d’être en forme pour les deux distances au même instant.

1 – Régularité et individualisation de l’entraînement

Chacun de nous est très différent, donc chercher à copier/coller ou adapter ce plan à votre propre cas sans analyser au préalable quelles sont vos différentes capacités, serait probablement une grosse erreur. En effet, tirer des conclusions d’un plan d’entraînement de 4 semaines ou 4 mois sans le contexte des années d’entraînement précédentes où des adaptations ont été faites, et sans prendre en compte les capacités individuelles de chaque athlète n’a aucun sens.

À mon avis, il n’y a pas de séance magique qui vous rendra meilleur d’un seul coup, ou un programme d’entraînement unique qui fonctionnera pour tout le monde. Les adaptations, et donc l’amélioration des performances, viennent de la répétition des stimuli d’entraînement (la régularité) et de l’individualisation de ces stimuli, pour voir quels sont les stimuli qui fonctionnent, et à quelle intensité, pour chacun de nous à chaque moment de notre programme et de notre carrière, et quelle est la récupération nécessaire.

Ce sont ces stimuli répétitifs qui créent des adaptations au niveau cellulaire et vous font changer vos capacités sur le long terme. Cela suppose de la cohérence et une bonne répartition de la charge d’entraînement. Il suffit ensuite de quelques adaptations et récupérations spécifiques à court terme pour se préparer à chaque type de course. La séance spéciale qui booste les performances, ou le bloc qui vous rend beaucoup plus fort, ne donne que des adaptations à très court terme qui seront vite perdues.

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Kilian Jornet, accompagné de Dakota Jones et François D’Haene lors de la Hardrock 100. © DR

2 – Adapter son entraînement selon ses possibilités

Cette année, notre plus jeune fille était tout le temps à la maison et ma femme Emelie et moi voulions nous entraîner sérieusement. Nous avons donc organisé nos journées en alternant nos horaires d’entraînement, l’un de 8h30 à 12h00 et l’autre de 12h00 à 15h30. Ensuite, une deuxième séance courte était possible lorsque les filles dormaient le soir.

Dans ce contexte, je ne pouvais pas faire de longues séances mais essayer d’accumuler de la distance avec plusieurs séances courtes et moyennes pendant la semaine, sachant que mon corps avait l’expérience physiologique et métabolique pour faire des courses de plus de 20 heures. Hormis les courses et quelques sorties de plus de 4 heures, tous mes runs n’ont jamais dépassé 4 heures cette année. Mais ma distance hebdomadaire était toujours aussi importante, puisque je faisais plus de sessions dans la semaine.

3 – Trouver sa méthode d’entraînement

Lors de l’élaboration d’un plan, nous avons souvent tendance à reproduire certaines choses que nous avons vues chez d’autres athlètes ou dans des programmes, et essayons de les adapter à nos capacités. Je crois que ce n’est pas la meilleure façon de procéder. Cela peut fonctionner, mais c’est juste de la chance si c’est le cas. Au lieu de cela, j’essaie d’analyser quelles sont mes capacités et mes faiblesses (qui suis-je, physiologiquement, métaboliquement, psychologiquement) et de voir où je devrais travailler, où je ne devrais pas et où cela n’a pas d’importance.

Depuis des années, je développe une méthode qui fonctionne pour moi. Cette méthode a été utilisée principalement en tenant compte des moments où je peux créer des adaptations et des moments où je ne peux pas et où je me blesse. Je sais par exemple que je peux absorber une grande quantité de volume et d’entraînement dans les zones Z2 et Z3, mais si je fais plus de travail de vitesse pendant plusieurs semaines continues (Z4 et Z5), je vais me blesser ou avoir un métabolisme moins efficace. Pour d’autres athlètes, c’est l’inverse.

Sur cette base de méthode, j’ai introduit de petits changements qui ont rendu mon entraînement plus efficace et m’ont permis de progresser année après année, et après plus de 15 ans de compétition à haut niveau, pour pouvoir délivrer mes meilleures performances.

ZONES D'ENTRAINEMENT DE KILIAN JORNET

Répartition des différentes zones d’entraînement de Kilian Jornet durant sa saison 2022. © DR

Z1 : Récupération active – Respiration par le nez.
Z2 : Endurance Aérobie – Je peux tenir ce rythme pendant des heures
Z3 : Tempo – Rythme soutenu et rapide, je peux discuter un peu
Z4 : Au seuil – Rythme de compétition, je ne peux pas parler
Z5 : VMA – Max

4 – Se concentrer sur la finalité des séances

À chaque séance, je me demande pourquoi je fais cet entraînement. Quel est l’objectif ? Une séance fait partie d’un plan d’adaptation physiologique, technique, musculaire, métabolique ou mental, et donc je me concentrerai sur différents aspects lors de cette séance pour être sûr de faire ce que je suis censé faire. Cela signifie que dans certaines séances, je me concentrerai sur la vitesse, sur d’autres sur la respiration, le cardio ou le RPE, sur d’autres sur la cadence, ou sur la sensation de régénération, ou sur la technique…

Il faut donc que je sois très sensible et réceptif à ce que je veux ressentir dans cette séance, pour pouvoir me concentrer sur ces sensations. Écouter et ressentir notre corps est quelque chose qui demande du temps, mais je crois qu’à la fin, c’est le meilleur outil dont nous disposons pour surveiller notre entraînement. Il ne s’agit pas de sortir et de s’entraîner dur, mais d’essayer de se concentrer sur ce qui compte vraiment pour telle ou telle session.

Je pense qu’aujourd’hui, particulièrement avec les réseaux sociaux, il est très facile d’être tenté de tout donner dans les entraînements et c’est à mon avis une grosse erreur. Je termine rarement un entraînement très fatigué, j’essaie juste de faire le travail qui va entraîner des adaptations en essayant d’économiser de l’énergie (physiquement et mentalement) pour pouvoir l’utiliser le jour de la course.

5 – L’importance des tests pour l’entraînement de Kilian Jornet

Je pense qu’il est important d’avoir un suivi de forme dans des conditions réelles, en plus des mesures physiologiques. Je fais tous mes tests de forme sur un même parcours que je peux faire facilement au moins une fois par semaine et qui n’est pas trop impacté par les conditions météorologiques. Il est donc facile de comparer. Mon itinéraire de test est à Nesaksla, sur une distance de 2 km avec 700 m de dénivelé. Ce test peut faire partie d’un entraînement (par exemple la montée et le plat) ou être juste un test.

Parfois, j’apporte du matériel pour effectuer des mesures afin de vérifier où nous pourrions apporter de petits changements sur le stimulus pendant l’entraînement ou le repos (lactate, variabilité de la fréquence cardiaque, glucose, saturation en oxygène – NIRS et doigt –, température…) En plus de ces mesures, j’ai effectué des séances où j’ajoutais des éléments et des stimuli différents pour travailler des aspects spécifiques et d’autres domaines que le métabolisme, comme par exemple la cadence, la ventilation, l’altitude, le carburant, le type de substrat énergétique, la privation de nourriture ou d’hydratation, etc.

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© GTWS / DR

6 – Savoir gérer son volume d’entraînement

Une chose difficile à gérer est le volume d’entraînement par rapport à l’intensité. Plus de volume d’entraînement est élevé, plus il est difficile de récupérer d’une séance intense pour être prêt pour la suivante. En général, j’essaie de prioriser le volume et je sais que dans ces cas-là mes entraînements-clés manqueront un peu de qualité et que ma vitesse sera similaire pendant toutes les séances. Mais si je veux privilégier les adaptations lors de séances-clés, alors le volume ne sera pas quelque chose d’établi au préalable, il s’établira au ressenti, sachant que je suis capable de le faire en gardant en tête l’objectif de ces sessions-clés.

Ceci dit, je fais habituellement un plan d’entraînement pour la saison avec une période générale pour construire une base aérobie (cela peut se faire en ski, escalade, etc) suivie d’une période spécifique pour travailler les spécificités du trail running, puis des micro-périodes pour acquérir les différentes capacités nécessaires pour chaque type d’événement. Je prévois donc de travailler des domaines spécifiques à des périodes spécifiques et sur cette base, je décide de quels types et de combien de séances différentes je dois faire chaque semaine pendant cette période.

Au cours de la semaine, je décide quand la séance se déroule en fonction de ce que je ressens : fréquence cardiaque, humeur, douleurs musculaires, sensations pendant l’entraînement, etc. Et si je vois que je suis incapable de faire les séances que je suis censé faire, j’essaie de comprendre pourquoi et de décider quelle est la meilleure façon de m’en remettre : prendre quelques jours tranquilles ou de repos ? Réduire le volume et garder les séances-clés ? Garder le volume et réduire le nombre de séances-clés ?…

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7 – La récupération

Mon approche de la récupération est très simple : concentrez-vous sur ce qui est le plus efficace. Et ces choses sont normalement très faciles à trouver et peu coûteuses…

Dormir. Avec 2 jeunes enfants à la maison, les nuits sont courtes mais j’ai la chance de n’avoir jamais eu besoin de beaucoup d’heures de sommeil pour récupérer. Mon temps de sommeil moyen est d’environ 6 heures par nuit, et correspond au temps durant lequel je dormirais si je n’avais pas d’alarme pour me réveiller. C’est très personnel ; certaines personnes peuvent avoir besoin de 8 ou 10 heures de sommeil pour récupérer, et d’autres moins. J’ai juste la chance de ne pas avoir besoin de beaucoup de sommeil pour pouvoir m’entraîner, travailler et avoir des enfants qui se réveillent tôt.

Nature et environnement. En tant qu’introverti, les activités sociales me demandent beaucoup d’énergie. Être dans un environnement calme et ne pas rencontrer beaucoup de gens au quotidien est donc essentiel pour maintenir un bon rythme de repos. Cela pourrait être le contraire pour une personne plutôt extravertie.

Charge d’entraînement. Je veille à avoir des journées tranquilles si je sens que mon corps n’assimile pas les charges d’entraînement. Je me fie à mon rythme cardiaque, à mon sentiment subjectif au réveil, mon humeur et à mon sentiment subjectif aux entraînements pour déterminer si j’assimile ou non les charges (entraînements + stress de la vie + travail + récupération).

8 – L’après course

Après une course, je ne prévois aucun entraînement spécifique dans la semaine qui suit. Ensuite, c’est le corps qui me dira quand reprendre l’entraînement, et cela vient 1) des douleurs musculaires ressenties ; 2) de la fatigue métabolique – à quel point je suis fatigué quand je commence à courir – ; et 3) du désir de m’entraîner – généralement, si je me sens super motivé pour sortir et m’entraîner, cela signifie que mon corps et mon esprit ont récupéré. Je commence souvent l’entraînement par des activités lentes qui impliquent de la mobilité (marche rapide, trottiner, longues journées en montagne) et j’augmente progressivement la vitesse.

9 – L’alimentation

C’est l’un des facteurs que j’ai le plus améliorés ces dernières années. Je suis beaucoup plus concentré sur mon alimentation quotidienne et je pense que cela a augmenté non seulement mon niveau de performance, mais aussi ma capacité de récupération. Mon régime quotidien est végétarien, avec une base de glucides dans les pommes de terre, le riz, les pâtes, le quinoa, le pain…, des légumes, des protéines et les graisses des légumineuses, les noix, l’avocat, le fromage, les œufs… Et je prends des suppléments d’oméga 3 et 6, de vitamine D et certains probiotiques.

Pendant l’entraînement, je ne prends jamais de nourriture et je bois rarement. En revanche, s’il s’agit d’une séance spécifique pour l’entraînement gastro-intestinal, je prendrai des gels ou du carburant pour habituer mon intestin. C’est quelque chose que je peux faire du fait de mon métabolisme des graisses et du fonctionnement de mes reins, qui est issu de nombreuses années de pratique.

Kilian Jornet Alimentation
© DR

10 – Gestion de la pression

La pression est quelque chose d’important à gérer en tant qu’athlète professionnel. Avec les succès que j’ai eus dans ma carrière, je sais qu’aujourd’hui les attentes des autres, mais aussi les miennes, et ce pour quoi je m’entraîne, est le fait de gagner les compétitions. Pour pouvoir gérer ça, j’ai deux façons de considérer les choses qui fonctionnent bien :

– La première, c’est que si je me suis bien entraîné, je sais que je suis prêt et je ne dois pas stresser car cela ne fera que consommer de l’énergie. Et si je ne me suis pas bien entraîné, je sais que je ne peux rien faire et je dois donc réfléchir à la façon de minimiser mes points faibles et d’utiliser mes points forts pour obtenir le meilleur résultat possible. Donc au final, quand j’entre dans une course, je sais que je ne peux rien changer à mon état de forme, qu’il soit bon ou mauvais, et que la seule chose que je peux faire, c’est en profiter.

J’ai tellement de chance d’être en bonne santé, d’avoir la possibilité de faire quelque chose que j’aime et de le faire dans de si beaux endroits… Alors je fais du mieux que je peux, en sachant que le résultat à la fin me rendra un peu plus ou un peu moins heureux pendant les quelques heures qui suivront la course, mais ne changera rien à ma vie.

– La seconde façon de gérer le stress, c’est de mettre en perspective ce que signifie le résultat d’une course. Le résultat n’est qu’une petite partie de la trajectoire, qui implique aussi l’entraînement et la préparation. Se concentrer sur tout le processus de préparation d’une course et sur ce que j’ai appris et vécu au cours de ce processus est bien plus important que le résultat de la course elle-même, qui n’est en fin de compte qu’une sorte de validation de ce processus. Et passer de l’objectif et du résultat au processus et au parcours est essentiel pour que je ne ressente pas la pression le jour de la course.

11 – La planification des courses

Il est très facile d’imaginer et de planifier ce que serait la course parfaite, mais cela n’arrive (presque) jamais. C’est une bonne stratégie pour garder la motivation pendant les séances difficiles, mais cela peut être une erreur de se baser uniquement sur une telle planification car ensuite, pendant la course, quand la merde arrive et que vous sortez du plan, il sera facile d’abandonner ou d’arrêter de se battre.

Je ne planifie que ce que je peux planifier (carburant, équipement, entraînement, connaissance de l’itinéraire…) et je me prépare à affronter des inconnues (problèmes gastro-intestinaux, problèmes musculaires, mauvaise forme physique, blessures, sommeil, douleur…). Pour cela, je pense que l’expérience est un gros avantage qui me permet de ne pas paniquer en cherchant à comprendre ce qui arrive, et de prendre des décisions judicieuses qui m’évitent de dépenser de l’énergie supplémentaire. Généralement, en cas de problème, cela donne : Oh merde ! C’est arrivé → Pourquoi ? → Essaie de trouver pourquoi → Que dois-je faire ? : Arrêter ? C’est dangereux ? Ralentir ? Changer ma façon de courir ? Manger quelque chose de différent ? → Ok j’essaie ça… → Ça n’a pas marché, réanalyse et essaie quelque chose différent….

Ce processus prend beaucoup de temps et d’énergie, alors que chez moi, la réponse est automatique : Oh merde ! ​​C’est arrivé → Je change cela d’après l’expérience acquise.

Lire une version enrichie de ce témoignage en français, comprenant notamment tous les protocoles d’entraînement avant les courses et entre les courses, ainsi que le récit de ces mêmes courses par Kilian Jornet. Elle est accessible ICI.

La version intégrale de ce document, en anglais, contient en plus le journal de toutes les séances d’entraînement de Kilian Jornet, jour après jour, durant cette période. Elle est accessible ICI.