Fanny Barbara, un souffle d’impossible
En 2014, le cancer lui prend un poumon. Fanny Barbara a 23 ans. À terre, cette jeune Bigourdane se relève grâce à la course en montagne. Un coup de foudre salvateur qui lui redonne un second souffle, jusqu’à enchaîner cette année l’UTMB et la Diagonale des Fous.
Parfois, une phrase suffit à changer une vie. Pour Fanny Barbara, elle est tombée au réveil d’une lourde opération, en 2014. Une phrase brutale, lâchée par un chirurgien à peine sorti du bloc : « Tant que vous ne courez pas le marathon, tout ira bien. »
Elle a 23 ans, et vient de se faire retirer un poumon atteint d’une tumeur neuro-endocrine. À l’époque, elle travaille dans l’agroalimentaire, skie un peu, comme toute Bigourdane, pratique l’équitation, mais ne court pas. Le cancer, lui, court vite. Trop vite.
Les semaines qui suivent sont violentes. Chimiothérapie, immunothérapie, douleurs, fatigue extrême. Son souffle ne suit plus. « Je sortais du lit pour faire trois pas, et je devais me recoucher. J’avais l’impression d’avoir 90 ans », se souvient-elle.
50 mètres pour respirer à nouveau

Puis son kiné l’incite à marcher pour retrouver des capacités pulmonaires. Rien de spectaculaire : juste marcher. Chaque jour. Ce fut son exécutoire : prendre l’air pour reprendre pied. « J’ai mal accepté la maladie à 23 ans, j’avais perdu mon autonomie et j’avais l’impression d’être poids pour mon entourage. Me remettre debout, en mouvement, dehors, a été une vraie libération. »
Chez elle, à Bagnères-de-Bigorre, marcher signifie grimper. « Je me souviens des premiers jours. Cinquante mètres, et j’étais fière. Je redescendais, et je dormais pendant des heures. »Mais elle continue. Dix mètres de plus. Encore. Le souffle revient. Et avec lui, l’envie. « J’ai commencé à trottiner en descente. À ressentir les bienfaits. À me dire : pourquoi pas essayer de courir ? »
En 2018, elle se défie avec un premier dossard sur un semi-marathon et termine dernière. Qu’importe, c’est une victoire. Chaque départ sera désormais une victoire. A force d’entraînement, elle progresse, recourant ce même semi, Lourdes–Tarbes, l’an dernier, solide en 1h39’. En 2022, elle court son premier marathon, en 4h, à Madrid avec des copains — ce qu’elle ne manquera pas de faire savoir à son chirurgien.
Un coup de foudre brutal

Un peu bitume donc, mais très vite, son cœur s’emballe pour la montagne. « Ce n’est pas un choix rationnel. C’est un coup de foudre. Brutal. Lumineux. », explique-t-elle, disant ne pas avoir le profil d’une traileuse longiligne au VO2 max affûté. « Mon corps a encaissé la maladie, les cicatrices, l’épuisement. Je l’ai longtemps vu comme fragile. Et pourtant, c’est ce même corps qui m’a menée jusqu’ici. »
Désormais infirmière en oncologie, elle apprend à apprivoiser l’endurance, son terrain naturel. Son corps met du temps à trouver son rythme. « Les trois ou quatre premières heures, je ne suis jamais à l’aise, j’ai du mal à trouver mon souffle. Puis, ça se met en route. »
Alors elle allonge la distance. En 2021, elle boucle le Tour des Cirques, son premier 100 km dans les Pyrénées. Puis viendront la Maxi Race Madeira, le Grand Trail Trangoworld, le MIUT…
L’UTMB (presque) comme dans un rêve

Jusqu’à l’UTMB, son premier 100 miles, qu’elle a couru cet été avec la team Adaptive, collectif inclusif de coureurs en situation de handicap. Elle a douté — non pas de sa préparation, menée avec son entraîneur Éric Lacroix — mais de sa place dans cette équipe. « Je me sentais presque illégitime, comparée à d’autres de la team, amputés ou paralysés. »
Mais Boris Giraldi, manager du collectif, la rassure : « Un poumon en moins, ce n’est pas rien. » C’est même tout un symbole, et une sacrée revanche. Être à Chamonix, dix ans après son opération pour boucler la boucle, et faire mentir, une fois de plus, cette phrase assassine.
La première nuit fut un enfer. Pluie, grêle, neige, froid mordant. Elle glisse une couverture de survie sous sa Gore-Tex. « Je ne pouvais plus boire ni manger. J’avais des troubles gastriques épouvantables. J’ai rarement eu aussi froid. Je ne sentais plus mes doigts. J’ai cru basculer dans l’hypothermie. C’était un peu de la survie. »
Mais le jour s’est levé sur Courmayeur. La lumière, les amis venus des Pyrénées pour l’encourager : l’émotion qui déborde. « À partir de là, j’ai déroulé. Ce ne fut que du bonheur, des paysages merveilleux dans une ferveur comme nulle part ailleurs. » Elle boucle les 170 km et 10 000 mètres de D+ en36h39, dans le premier quart du peloton féminin et savoure, une fois encore, l’impossible devenu possible.
La Diagonale des Fous, une fête au sommet

« Je ne cours pas pour effacer mes failles. Je cours avec elles, pour leur donner un sens. Comme dans une histoire d’amour, ce n’est pas la facilité qui compte. C’est ce que ça t’apprend. » La citation, postée sur sa page Facebook, résume son état d’esprit.
Le corps est toujours cabossé. Elle en connaît les limites, les signaux d’alerte. Mais aussi sa capacité à surprendre. « Ce petit corps imparfait est solide à sa façon. Il porte des rêves plus grands que lui. »
Dernier rêve réalisé en date, une folle Diagonale tropicale à La Réunion achevée en moins de 49h. Après l’UTMB, si une légère fracture de fatigue au pied l’a fait douter un moment, elle s’est vite rétablie pour aller courir l’ultra-trail mythique de l’île intense et vibrer comme jamais.
174 km de Saint-Pierre au Sud à Saint-Denis au Nord pour cette traversée ultra-technique de 10 000 mD+ par les sentiers sans pitié. Verdict de la coureuse du Sud-Ouest, qui termine 71e femme : « C’était merveilleux. Très exigeant mais quelle folle ambiance. Je n’ai pas l’impression d’avoir vécu une course, mais une véritable fête inscrite dans la culture de l’île ».
Dix ans après son ablation du poumon, Fanny Barbara continue d’écrire sa propre trajectoire, forte d’un mantra : à cœur vaillant, rien d’impossible.