Tony Rapisarda : l’étonnant parcours du coureur de feu

Tony Rapisarda s'est fait remarquer à 13 ans, sur une course de côtes de 20 km sur les flancs de l'ETNA, en Sicile.

L’ancien champion de France Tony Rapisarda retrace son itinéraire depuis les pentes de l’Etna en Sicile où il a grandi sur fond de misère jusqu’à ses premiers succès internationaux. Prodige des années 80-90, il livre un beau témoignage d’intégration par le sport, où le hasard des rencontres se mêle à son talent et son acharnement pour forcer son destin.

Le nom de Tony Rapisarda résonne sans doute aux oreilles des coureurs des années 90. Pour toute une génération, ce champion reste un exemple. Exemple de résilience et modèle d’intégration par le sport. Ce Sicilien passionné de littérature, aujourd’hui directeur d’une banque à Nice raconte son parcours dans un roman haletant (Editions Feedback) haletant.

De la Sicile à Lille, sac au dos

Souvenir d’un podium français pour le champion d’origine sicilienne.

Fils d’une famille pauvre, il s’est offert une autre destinée grâce au sport et aux études. En 1985, à tout juste vingt ans, il a quitté son île natale. Un long voyage sans retour jusqu’à Lille. Sac au dos et sans un sou en poche, il a débarqué dans le Nord de la France pour accueillir son premier enfant. Reparti de zéro dans un français hésitant, il s’est rapidement fait un nom en intégrant le club d’athlétisme lillois, alors grand vivier de champions.

Bientôt marié et naturalisé Français, Tony Rapisarda réalisera quelques années plus tard les minima pour les Jeux olympiques de Séoul (1988) et remporté le titre le champion de France de cross et de semi-marathon (1992), tout en poursuivant des études supérieures pour gagner sa vie.

« Le coureur de feu », ce surnom donné par les journalistes de la Voix du Nord relatant régulièrement ses exploits fait référence à son enfance rude passée au pied du volcan sicilien, comme à son tempérament fougueux.

En Italie, l’athlète était déjà une légende. Propulsé d’invisible à star reconnue de tous par son talent, particulièrement précoce. Tony a connu un début de carrière fracassant, gagnant tous les week-end ou presque une course à travers le pays. Son record d’Italie (1982) en catégorie jeune en 10 029 mètres en 30 minutes reste d’ailleurs imbattu à ce jour.

Vaincre à tout prix

Tony Rapisarda s'est fait remarquer à 13 ans, sur une course de côtes de 20 km sur les flancs de l'ETNA, en Sicile.
Souvenir de la première course de Tony Rapisarda à 13 ans, sur les flancs de l’Etna

Une course de côtes de 20 km tracée sur les lacets de l’Etna qui l’a révélée. Il avait treize ans. Cette course, initiée par un clan de jeunes éboueurs de son village, Tony, rebaptisé Turri dans le livre, l’a disputé en secret pour venger sa famille.

« Ce n’était pas une course, c’était une bataille. Il fallait vaincre, à tout prix. C’était pour moi comme prendre ma revanche sur tous les adversaires de la famille, sur les gens qui ne nous aimaient pas, sur les agresseurs de mon père, sur les moqueurs de mes frères, sur les zingari (gitans) voleurs de bonnets qui avaient fait souffrir ma mère et tant d’autres ennemis encore », relate-il à ce propos.

Ce jour-là, un entraîneur pittoresque le repère. Grâce à ce « professeur » à moustaches – sosie d’Omar Sharif – sa vie a pris une autre tournure. Lui, le fils de paysan, aurait pu mal tourner mais il a choisi de briller s’acharnant dès lors à l’entraînement. Jusqu’à cumuler plus de 160 kilomètres par semaine, en plus des cours au lycée,et des heures de travail de nuit pour aider son père, gardien de chantiers. Gagner des courses, gagner du statut social grâce à ses bons résultats à l’école pour s’extirper de la misère. 

Un premier marathon improvisé en 2h20′

Tony Rapisarda, l'ex champion de France des années 90 court toujours, pour le plaisir.
Tony Rapisarda a participé au dernier Marathon Nice-Cannes 2023 en relais, avec son entreprise, la Caisse d’Epargne.

Ses souvenirs d’enfance, joyeux comme douloureux, s’entremêlent au fil des chapitres, morceaux choisis de son passé. De son village Belpasso, marqué par la violence de la rue, entre une mère dépressive peinant à tenir ses cinq garçons bagarreurs et un père original, toujours au bord de la faillite. 

A ses compétitions phares, évoquées par flash-back, entre France et Italie. Son premier marathon couru à Venise en 1991 conclut sa saga sportive, rythmée de péripéties. Accompagnant un groupe de coureurs au sein de l’agence de voyages d’un ami, Tony Rapisarda, sans préparation spécifique, devait se contenter du semi, où son ami devait l’attendre. Il a finalement dû rallier l’arrivée, occupant la tête de course pendant des kilomètres avant d’exploser sur la fin, pour terminer, tout de même 7e en 2h20’.

Malgré une scoliose prononcée et de fréquentes blessures, deux autres marathons suivront ainsi de nombreuses places d’honneur,notamment sur les championnats de France de course en montagne (3e) ou encore une victoire sur le Maratrail Transpyrénéen Catalan en 2010.

« Mon manuscrit dormait dans un tiroir depuis 20 ans »

Son roman n’évoque pas ses dernières compétitions se concentrant sur ses plus jeunes années. Pour tout dire, son récit n’avait pas vocation à être publié. L’auteur, joint par téléphone, nous raconte sa folle épopée littéraire : « Ayant toujours aimé l’écriture, il y a vingt ans, j’avais consigné mon histoire dans un manuscrit qui dormait chez moi au fond d’un tiroir. Je n’avais à l’époque aucune intention de le faire publier mais il y a deux ans, une de mes filles est tombée dessus.

Au Noël suivant, mon cadeau fut une reliure de ce manuscrit, avec une couverture lithographiée de manière artisanale. J’ai eu un grand coup d’émotion. Poussé par mes proches, je me suis lancé dans l’aventure. Je l’ai retravaillé, en profitant des conseils avisés d’un comité de lecture rassemblant des amis avant de le proposer à un éditeur, qui a été sensible à mon histoire », détaille-t-il avec son accent chantant.

« Renouer avec d’anciens champions »

Depuis sa parution, l’ancien champion devenu banquier et désormais écrivain, vit un rêve éveillé : « La magie me tombe dessus. Grâce à ce livre, je renoue avec des gens que j’avais perdu de vue depuis des années, comme Dominique Chauvelier, Pascal Tiébaut, Jean-Louis Prianon ou encore les anciens de l’équipe de l’Italie que je vais retrouver quarante ans plus tard ! »

Tony Rapisarda court toujours, environ 120 kilomètres par semaine. Sans chercher la performance, juste pour se maintenir en forme, il effectue chaque jour le trajet retour de son travail à son domicile à petites foulées, se challenge ponctuellement sur des épreuves. Ces prochains mois, au gré de dédicaces, il prévoit d’épingler quelques dossards sur la route comme en trail, avant de porter, avec honneur, la flamme olympique pour quelques mètres forts symboliques.

*L’auteur a choisi de changer tous les noms des personnages de son roman.