Le Spartathlon rêvé de Benjamin Guibouin

Benjamin Guibouin, premier Français du Spartathlon

Récemment, Benjamin Guibouin, 34 ans a terminé 8e et premier Français du mythique Spartathlon, ultra-marathon de 246 kilomètres reliant Athènes à Sparte, réputé comme l’un des plus difficiles au monde. Pour ce père de famille nantais, participer à une telle épreuve relevait encore de l’impossible il y a peu. Et pourtant, il l’a fait en 25h24′. Récit.

« Jamais je n’aurais imaginé pouvoir terminer le Spartathlon. J’ai découvert l’épreuve en 2018, grâce à un reportage sur YouTube. Cet ultra-marathon grec reprend le trajet du soldat Philippidès, messager envoyé d’Athènes à Sparte lors de la bataille de Marathon.

246 kilomètres d’une seule traite, à boucler en moins de 36 heures, avec 75 barrières horaires et à peine 47 % de finishers chaque année depuis plus de quarante ans. Une course d’une telle ampleur me laissait rêveur…

« Ce doit être dingue de vivre une aventure pareille »

Avec ses filles, à l’arrivée de l’Etoile Verte d’Eguzon de 300 km en six étapes.

Je me suis juste dit : “Ce doit être dingue de vivre une aventure pareille.” À l’époque, je ne faisais que quelques footings. Après des années de football amateur, mon passage en horaires décalés (3x 8) chez Airbus, où je travaille depuis mes 15 ans, a bouleversé ma routine. Pour garder la forme, le running s’est imposé naturellement.

Très vite, j’ai compris que, au-delà du plaisir, courir permettait aussi de jouer avec le chrono. Mon premier objectif : passer sous les 20 minutes au 5 km. Puis, dans la foulée, calé à 4min/km, j’ai visé le 10 km en moins de 40 minutes et le semi-marathon en moins d’1h25 (1h24 à Nantes en 2019).

Du 5 km à l’ultra-dimension  

Benjamin Guibouin a terminé premier Français du Spartathlon

De fil en aiguille, sans passer par la case marathon, je me suis lancé sur le long. Sans doute déjà fasciné par ce Spartathlon. En 2018, l’année de la naissance de notre première fille, j’ai couru les 100 km de Millau pour la première fois en 10h30. Ce fut une révélation.

Entrer dans cette dimension d’effort extrême, laisser place à l’introspection… cela m’a procuré le sentiment d’un long voyage intérieur. J’ai poursuivi la série. Millau de nouveau, puis les 100 km de Bretagne et d’Amiens, où j’ai battu mon record personnel en 7h48 en 2024.

En parallèle, comme beaucoup, j’ai tenté le trail, notamment l’Ultra-Marin, terminé une première fois en 25h50. Durant deux ans, installés près de Toulouse pour mon travail, j’ai participé à plusieurs trails de montagne — sans grande conviction.

Je me suis vite rendu compte que ce qui m’animait vraiment, c’était la performance chronométrique. En trail, rien n’est comparable. Sur route, un temps reste une référence. C’est sans doute mon côté cartésien : j’ai besoin de pouvoir mesurer et comparer.

Ultra Ardèche, la première étape

En 2023, nos deux filles (3 et 5 ans) désormais à l’école et notre maison près de Nantes achevée, l’idée du Spartathlon a refait surface. J’ai alors étudié le parcours et les conditions de qualification.

En France, une course servait de sésame : l’Ultra Ardèche, 222 km sur route avec 3 300 m de dénivelé positif. La terminer en moins de 27 heures offrait une qualification directe, sans passer par le tirage au sort.


Banco : l’Ardèche est devenu mon objectif n°1 de 2024. Je n’avais alors qu’une référence, l’Ultra-Marin, que j’avais recouru en 2023 en 18h50, soit 7 heures de mieux qu’à ma première participation. Cette progression m’a mis en confiance. Résultat : 26h30 à l’Ultra Ardèche, tout juste dans les temps pour décrocher mon billet pour la Grèce.

Spartathlon, inscription, préparation

Je me suis inscrit en janvier et j’ai entamé la préparation sereinement. Je ne l’aurais pas fait sans embarquer ma femme, Élise et mon amie Dominique, mes deux véritables coachs de cœur.

Pas de plan d’entraînement strict. On a déjà assez de contraintes dans la vie, pas besoin d’en rajouter ! J’ai privilégié le volume et surtout le mental, indispensable pour donner du sens à l’extrême longueur.

À quoi je pense quand je cours ? À tout et à rien. Et c’est justement ce que j’aime : faire le vide et laisser filer le temps, dans un monde où tout va trop vite. J’ai refait les 100 km de Bretagne pour la 3ᵉ fois, l’Ultra-Marin (bouclé cette fois en 17h08) puis, fin août, j’ai testé un format de 300 km en six étapes, l’Étoile Verte d’Éguzon, dans la Creuse qui s’est bien passé.

Antoine Guillon, une légende à mes côtés

Benjamin Guibouin, premier Français du Spartathlon a couru la première partie de cet ultra-marathon avec Antoine Guillon.

Au vu de ma préparation, je pensais pouvoir finir le Spartathlon en 25 heures. Mais je n’en étais sûr de rien. L’objectif n°1 restait de finir, d’atteindre Sparte, quitte à ajuster mon allure en route si tout allait bien.

Nous sommes arrivés à Athènes deux jours avant la course, comme les 400 participants venus du monde entier, dont 15 Français. À l’hôtel, j’ai rencontré Antoine Guillon. Pour moi, c’est une légende : quand j’ai commencé à courir, il remportait la Diagonale des Fous ! Je ne pensais pas un jour avoir le privilège de discuter avec lui en toute simplicité.

Le jour J, à 7h, au pied de l’Acropole, nous prenons le départ ensemble. Nous courons douze heures côte à côte, calés à 11 km/h. J’étais comme un gamin, vivant un rêve éveillé.

Nous passons le 100e km en 9 heures. Le décor défile : zones industrielles, raffineries à la sortie d’Athènes, le pont de Corinthe, puis les oliveraies le long de routes ouvertes à la circulation mais sécurisées. Pas de répit : il faut courir, sans relâche, sur des lignes droites interminables — l’une des grandes difficultés de cette course.

Au 124e km, Antoine s’arrête se ravitailler. Il est 20h. J’allume ma frontale, enfile mon gilet jaune et décide de poursuivre. Je lui fais signe en espérant qu’on se retrouve plus loin. Ce fut la dernière fois que je l’ai vu.

Top 10, 9, 8 : j’ai du mal à y croire

Benjamin Guibouin, premier Français du Spartathlon

La nuit tombe. J’aborde la section la plus redoutée : 18 km d’ascension, plus de 1000 m de D+ jusqu’au Mont Artémision (km 160). Une portion de trail, dans le froid et bientôt sous la pluie.

Puis le retour au bitume, et ces routes droites à perte de vue, une épreuve mentale car on a l’impression de ne plus avancer. J’essaie d’évacuer les pensées négatives, concentré sur mes allures.
Je passe le 220e km en 23h. 3h30 de mieux que sur l’Ultra Ardèche, ma seule référence. C’est dingue. Élise m’informe de ma position : Top 10… 9e… 8e. J’ai du mal à y croire. Euphorique, je m’écrie : « Je suis une machine ! »

Les idées en place

Benjamin Guibouin a terminé premier Français du Spartathlon


Je me suis laisse emporter par l’émotion alors qu’un Anglais, Brian, avec qui je partage le ravito, s’apprête à repartir. Élise me glisse alors : « Pense à demain. S’il te double, tu le regretteras. Serre les dents et vas-y. » Cette phrase m’a remis les idées en place. Je repars déterminé pour les derniers 10 km, après avoir avalé en vitesse un plat de lasagnes.

Escorté sur les trois derniers kilomètres par la police grecque — la grande classe —, j’arrive à 8h, au pied de la statue de Philippidès. Épuisé, vidé, mais délivré, je hurle : « On a réussi ! » Nous étions seuls, à l’aube, avec Élise et Dominique, pour savourer ce moment. Une victoire collective. Sans elles deux, jamais je ne serais arrivé là.

25h24 de course comme hors du temps

Rituel d'arrivée du Spartathlon pour Benjamin Guibouin, premier Français de cet ultra-marathon.

Être premier Français, 8e de ce Spartathlon, c’était inimaginable. Jamais je ne m’en serais cru capable. Antoine Guillon termine 15e, 1h30 derrière, heureux lui aussi de sa course. Je lui dois beaucoup : il m’a appris énormément pendant ces heures partagées.

Quand j’y repense, ce fut comme une longue journée hors du temps. J’étais dans ma bulle, comme si j’avais fermé les yeux au départ et que je les avais rouvert 26 heures plus tard.

C’est fou d’avoir vécu cela — et de l’avoir fait vivre à mes proches. Bien sûr, j’ai connu des moments de ras-le-bol, de douleur extrême.

Mais je retiens surtout une chose : j’ai découvert mon corps et ma tête. Et c’était magique. On est capable de tout. Les seules limites sont celles qu’on s’impose à soi-même. »