Guillaume Ruel, le cent bornes dans la peau
Au cœur de l’été, Guillaume Ruel a pulvérisé son propre record de France sur 100 km en 6h13’41’’. Pour le Normand de 26 ans ce n’est qu’une étape vers le record du monde ! Rencontre avec ce jeune prodige du 100 bornes aussi fougueux que besogneux.
Guillaume Ruel, sur ton 100 km à Los Angeles le 22 juin, tu as pulvérisé de 6 minutes ton propre record de France. Raconte-nous ta folle course à 16km/h de moyenne pendant 100 bornes !
« J’avais déjà l’objectif de finir ce 100 km car l’an dernier au Japon, j’avais dû m’arrêter au 70e km. C’est une distance longue, il peut se passer plein de choses. Je savais que je pouvais faire mieux que mon précédent 6h19’ mais 6h13’, je ne m’y attendais pas vraiment. En allant aussi loin dans la course sur des allures aussi élevées, je pensais que j’allais exploser plus tôt. Donc j’étais content du chrono final, d’autant que je n’avais pas prévu ce 100 km initialement mais un autre au Japon qui n’a pas pu se faire pour des raisons logistiques. »
Le record du monde d’Alexander Sorokin (6h05’35’), de plus de 10 ans ton aîné, c’est toujours ton objectif numéro 1 ?
« Oui oui et ce 100 km aux Etats-Unis me conforte dans l’idée que c’est possible, en tout cas tant que le record est au-dessus 6h. J’ai encore une marge de progression. Ce n’était que mon 3e 100 km, j’ai 26 ans, c’est une distance à maturité longue. A Berlin en 2022 j’étais pendant 70 km sur l’allure de ce record du monde. Là, à Los Angeles, j’ai tenu 88 km à 3’39’’/km, donc il me reste plus que 12 km à combler. Cela veut dire que j’ai fait 88% du chemin. C’est plus motivant de voir les choses comme ça plutôt que de se dire que je suis encore à 8’ de ce record… »
Une semaine type d’entraînement pour toi, cela donne quoi ?
« Je tourne à 180 km par semaine en moyenne en 13 entrainements. Cette année, j’ai eu un pic à 280 km sur une semaine avec beaucoup de volume donc mais peu de qualité si bien que j’étais aussi fatigué que pendant une préparation semi-marathon avec des semaines à 140 km beaucoup plus dures ! »
On dit que le 100 km est une distance d’expérience. Ta jeunesse, c’est ta force ?
« Disons que j’ai encore du mal à appréhender la distance. Je suis un très bon coureur de 70-80 km sur 4h-5h d’effort, mais il me manque encore 1h30’. En 100 km, il peut se passer plein de choses, on est livré à soi-même, on passe par différents états physiques et émotionnels. J’y amène la fougue de ma jeunesse et mon ambition qui est peut-être un peu démesurée sur les allures de départ mais avec une course régulière dans l’allure et la gestion, je n’aurai pas autant de plaisir ! »
Depuis deux ans, on t’a aussi vu carburer sur marathon que tu enchaînes sérieusement !
« (Rires) Oui, j’en cours pas mal dans le cadre de mes préparations 100 km. L’année dernière, j’avais fait Rouen, Jersey, Rennes, Deauville et La Rochelle à la suite. Souvent, je cible un marathon pour faire un chrono et je vois les autres comme des sorties longues rythmées. A Rennes où l’objectif était de courir vite, j’avais battu mon record en 2h14’. Quand je termine en 2h20-2h25, cela me fatigue moins donc je peux les enchaîner et surtout, je prends plaisir à les courir ainsi, disons à 90%. Il y a du public, de l’ambiance, des parcours différents de ceux de mes entraînements : j’adore ! »
Penses-tu pouvoir abaisser ton record sur marathon ?
« Oui, peut-être que je pourrais faire 2h13, voire autour de 2h10 avec une préparation très spécifique mais cela ne me classerait pas parmi les meilleurs vu le niveau actuel sur marathon. Pour l’instant, je mets le 100 km sur un piédestal et j’y vais à fond. Je n’ai que 26 ans, je pourrais revenir sur marathon dans quelques années. »
Et maintenant, quelle est la suite de ton programme ?
« J’avais prévu le 100 km d’Alexandre Sorokin en septembre initialement mais la récupération me paraît un peu courte. Je vais plutôt me concentrer sur les championnats du monde de 100 km en décembre en Inde avec l’envie de gagner. Avant cela, je courrais comme l’an dernier 4 ou 5 marathons cet automne. »
As-tu déjà des idées pour ta saison 2025 ?
« Oui bien sûr, il me faut des objectifs car j’ai peur du vide ! S’il y a un championnat sur 100 km annoncé, ce sera ma priorité tout en sachant que j’ai envie de tester des nouvelles choses. Je pense à un ultra trail roulant type EcoTrail Paris ou et pourquoi pas un jour un 100 miles comme la Western States que j’ai dans un coin de ma tête. Courir 120, 140, 160 km en nature sur terrain roulant sera aussi intéressant pour performer sur un 100 km route ! ».
Au fait, comment as-tu basculé sur 100 km Guillaume Ruel ?
« Sur un coup de tête. J’ai couru mon premier 100 km sur le championnat de France d’Amiens en 2021 que j’ai gagné. Cette année-là, je préparais un marathon en Ecosse mais c’était le Covid et je n’avais pas pu y aller en raison des restrictions sanitaires. Je pensais déjà aux 100 km mais plutôt pour mes 28-30 ans, pas pour mes 23 ans, mais bon j’y ai vu une bonne occasion de me lancer et depuis j’y ai pris goût. »
Tu as commencé à courir tout jeune ?
« Oui, dès l’école primaire. A 10 ans, mon grand frère Pierre-Antoine m’avait suivi à vélo quand j’avais couru 10 km. De fil en aiguille, j’ai allongé les sorties et multiplié les entrainements jusqu’à courir mon premier marathon à 17 ans avec mon père à l’entraînement. »
Courir vite et très longtemps, c’est une affaire de famille chez les Ruel…
« On peut dire ça. Papa a eu 5 sélections internationales sur 24h de 2015 à 2019 avec un record à 263.54 km. Maman marche beaucoup et a déjà cumulé 134.8 km en 24h. Mon frère Pierre-Antoine a couru avec moi le marathon de La Rochelle en 2h25’ l’an dernier et il prépare son 2eme 100 km pour le championnat de France d’Amiens, en visant les 6h50’, ce qui est déjà un très bon niveau. »
Il a peut-être une part de génétique alors…
« Je ne sais pas. Je pencherai plutôt pour le côté psychologique car petits avec mon frère, on voyait papa faire un marathon le samedi et un autre le dimanche à l’entraînement. Clairement, il a banalisé la distance à nos yeux. A 17 ans quand j’ai fait mon premier marathon à l’entraînement, je me dis, je fais juste comme papa, il n’y a rien d’incroyable à cela, lui le fait tous les week-ends. Grâce à lui aussi le 100 km ne nous fait pas peur avec mon frère car on avait l’habitude de le suivre sur ses épreuves pour lui faire ses ravitaillements. »
Depuis 2022, tu es diplômé en pharmacie mais tu as fait le choix de te consacrer à 100% au sport, soutenu entre autres par Salomon. Raconte-nous.
« Avec mes derniers résultats, je peux vivre de ma passion donc j’en profite tant que je peux mettre toutes les chances de mon côté pour tirer la performance vers le haut et ne pas avoir de regrets plus tard. En parallèle, je suis toujours en rédaction de ma thèse que j’espère soutenir l’an prochain. Depuis l’année dernière, je ne travaille plus en pharmacie un jour par semaine car avec les compétitions et les stages, c’était trop compliqué mais je vais peut-être reprendre à la rentrée… »
Quel est ton meilleur souvenir de coureur ?
« Les championnats du monde de 100 km à Berlin en 2022. Après une grosse partie de la course seul en tête, je me suis fait rattraper sur la fin. J’ai terminé 5eme, alors que je visais le titre mondial ou le podium. Pour moi, c’était un échec. Mais à l’arrivée, mes proches pleuraient de joie car je venais de battre le record de France. Ce jour là, je me suis rendu compte que je ne courais pas que pour moi, mais aussi pour eux. Les voir fiers, c’est tellement motivant. »
Quelle course te fait rêver Guillaume Ruel ?
« Je rêve depuis toujours les Comrades, course mythique d’environ 85 km en Afrique du Sud. C’est un copain, le Hollandais Piet Wiersma qui l’a gagnée l’an dernier et cela m’a encore en plus donné envie d’y aller. Cela n’a pas pu se faire jusqu’à présent pour des questions de calendrier, mais ce sera je l’espère un objectif majeur pour 2025 ».