Bigorexie, la pire ennemie

L'addiction au sport est reconnue comme maladie par l'OMS et porte un nom : la bigorexie.

On entend souvent dire qu’on est accro à la course à pied et qu’il vaut mieux ça, que d’autres drogues. Oui mais, l’addiction au sport peut être réelle et pathologique et cela porte un nom : la bigorexie. Explications.

Maladie reconnue par l’OMS, la bigorexie concerne celles et ceux pour qui la pratique du sport est passée du stade du plaisir à celui de l’obsession. « Lorsque la pratique sportive empiète sur la sphère professionnelle et familiale, conduit à la désociabilisation, aux blessures, aux troubles physiques et psychiques, le médicament devient la maladie. Cette pathologie, c’est la bigorexie » résume ainsi Frank Fontveille, médecin de sport à Dijon que nous avons interrogé.

Comment devient-on bigorexique ?

En état de glucopénie (panne de glycogène) vos muscles n’ont plus de fuel, vous n’avez plus de jus. C’est ce que certains connaissent sur marathon, avec le fameux « mur ».
©Saucony

C’est une maladie aussi difficile dans son diagnostic, les patients étant le plus souvent dans le déni, que dans son traitement qu’il convient de démystifier.

La bigorexie – en référence aux bodybuilders qui cherchent à être toujours plus musclés (big) – concerne donc les sportifs qui, par une pratique intensive, sont devenus complètement dépendant physiquement et psychologiquement au sport.

Et cette pathologie s’installe progressivement, parfois sournoisement. Il semblerait que le risque apparaisse au-delà de 10h de pratique par semaine.

Rassurez-vous, d’après les études, 72% des sportifs et sportives ne sont pas à risque. Et pour ceux qui passent du côté obscur, dans la dépendance pure, que se passe-t-il ? Les mêmes mécanismes que ceux impliqués dans d’autres addictions sauf que cette fois-ci, les substances sont endogènes.

Des signes qui ne trompent pas

On retrouve souvent chez le pratiquant de sport une opinion altérée de soi-même, avec une tendance à se voir plus gros que la réalité (comme lors de troubles alimentaires) et toujours convaincu de ne pas s’entraîner assez.

Le sport est au centre de tout. Le mode de vie du bigorexique tourne à  1000% autour du sport (investissement excessif dans du matériel sportif, réduction du temps consacré au reste). Ne pas pouvoir respecter son plan d’entraînement lui est presque insupportable.

Cela entraine inévitablement une vie sociale et familiale sacrifiée : tendance à se couper de tout et ne pas écouter les conseils de ses amis/famille, jugés “pas assez sportifs” ou “pas assez compréhensifs”.

Chez le sportif très addict on retrouve souvent une perte de plaisir à l’entraînement. Il est passé en mode “robot” et cela fait bien longtemps que le plaisir n’est plus présent, tout cela accompagné de frustration, d’angoisses, d’anxiétés, parfois d’insomnie car en cas d’arrêt forcé (vacances ou blessure), c’est la descente aux enfers.

Les répercussions physiques sont dangereuses avec une abstraction totale des alertes et des douleurs physiques. Œillères sur la tête, le bigorexique fonce et n’écoute plus son corps. Une tendinite ? Une fracture de fatigue ? Le bigorexique n’entends rien !


Comment savoir si je suis bigorexique ?

Avez-vous connu ces 5C sur au moins 1 an ? Si oui, alors il est temps de revoir votre pratique.

  • Perte de Contrôle : je me sens coupable de ne pas me dépenser tous les jours.
  • Usage Continu et Chronique : ça fait au moins un an que je suis à fond dans la pratique de mon sport sans faire de pause.
  • Usage Compulsif : il m’est impossible de louper une séance ou d’avoir un jour OFF.
  • Craving : j’ai une envie irrépressible de faire du sport.

Ce que dit la science

Le mécanisme physiologique qui se cache derrière est assez complexe. En effet, lors d’une activité physique comme la course à pied, le corps va secréter des hormones, les endorphines et dopamines.

Pour la team endorphines, il s’agit d’un groupe de neurotransmetteurs dont la structure est très proche de la morphine (rien que ça). C’est grâce à elles que la personne aime tant courir tout en ressentant du plaisir voire de l’euphorie. Et en plus, elles ont un effet anti-fatigue.

Et la team dopamines ? Pendant et après l’effort, ce sont elles qui vont activer les circuits de récompense au niveau cérébral. On se sent moins fatigué, plus vif et tonique.  À elles deux, elles sont responsables de l’effet addictif du running.

Epuisement physique générale et blessures à répétition…

Douleur au pied ? C'est peut-être une fracture de fatigue.
©DR

Les conséquences sont autant physiques que psychologiques avec une perte de poids extrême (anorexie), ostéoporose (détérioration du tissu osseux), palpitations, vertiges, anémie, irritabilité, manque de motivation professionnelle…

Epuisement physique généralisé, déchirures musculaires, atteintes tendineuses et blessures à répétition sont fréquentes chez la personne addict au sport.

Le temps nécessaire de récupération est rarement respecté, notamment parce que les séances s’enchaînent plusieurs fois par jour. Et le sommeil est négligé : on dort moins pour avoir plus de temps pour faire du sport.  À force, une usure précoce des os et du cartilage s’installe.

Puis les entorses, l’arthrose et les fractures de fatigue fragilisent sur le long terme. Des troubles de la fertilité peuvent aussi survenir. Chez la femme cela peut également entraîner une aménorrhée (absence de règles) et des troubles du cycle. En cas de grossesse, les risques sont majeurs : retard de développement, fausses couches répétées, souffrance fœtale.

Cette addiction entraine également une obsession de l’image du corps et une dysmorphie (un déséquilibre) musculaire apparait. Sans compter que la bigorexie peut totalement couper l’individu de ses relations sociales, générer des conflits familiaux car il faut toujours du temps pour faire son sport tous les jours.

Cette addiction peut également conduire à des pratiques déviantes comme la prise de substances (médicaments, produits illicites ou dopants) pour pouvoir encaisser une haute dose de sport.

Comment s’en sortir ?

Comme toutes les addictions il faut alors passer par une période de sevrage. Difficile à effectuer sans soutien médical, la désintoxication au sport entraîne des tremblements, céphalées, douleurs articulaires et musculaires, mais aussi une irritabilité, de l’anxiété, des insomnies.

Pour se soigner, il faut retrouver l’équilibre dans la pratique et le plaisir qui va avec. Des thérapies adaptées permettent d’en sortir, pour cela, il est très important de pouvoir en discuter avec son médecin ou un médecin du sport spécialisé.

Une prise en charge précoce favorise d’ailleurs la guérison car pour que le sport reste ce formidable vecteur de santé physique, d’épanouissement personnel et de cohésion sociale, il est important de parler aussi de son addiction.