Eliud Kipchoge, recordman du monde, est très attendu ce week-end sur le marathon de Berlin. Véronique Billat, physiologiste de renommée mondiale a analysé les derniers records du champion. Pour elle, il peut courir le marathon en moins d’1h59.
En 2019, nous avions demandé à Véronique Billat son avis sur le marathon démonstration en 1h59’40’’ d’Eliud Kipchoge à Vienne. Selon analyse, publiée dans Journal of Sports performance and physiology en 2020, Eliud Kipchoge serait bien en capacité de battre, ce week-end sur le marathon de Berlin, son record du monde officieux de Vienne.
Qui est Véronique Billat ? Cette physiologiste française, professeure des universités, détentrice d’un brevet d’état 3e degré d’athlétisme, a notamment fondé la méthode d’entraînement BillaTraining et publié le livre Révolution marathon (Editions DeBoeck).
Véronique Billat, vous avez déjà analysé le record du monde officiel d’Eliud Kipchoge sur le marathon de Berlin en 2018. Quelle est votre analyse de son chrono en 1h59’ en 2019 à Vienne ?
« Nous avons comparé les performances d’Eliud Kipchoge sur ses trois derniers marathons, tous à six mois d’intervalle. Berlin en septembre 2018, course de son record du monde en 2h01’39’’, Londres en avril 2019 en 2h02’37’’ puis Vienne, le 12 octobre dernier, où il a couru en 1h59’40’’. Ce qui est intéressant, c’est l’analyse comparative entre la course officielle (Berlin) et la course articifielle (Vienne). Il faut d’abord savoir que ce qui caractérise Kipchoge, c’est qu’il a une formidable réserve de puissance liée à sa carrière en demi-fond. Il a imprimé depuis longtemps à l’entraînement des allures de 23-24 km/h et a une tendance naturelle à varier les allures sur marathon, en courant le second semi plus rapidement que le premier. »
Au-delà des deux minutes d’écart entre ses chronos de Berlin 2018 (2h01’39’) et Vienne en 2019 (1h59’40’’), quelles différences avez-vous pointées ?
« A Vienne, il n’a pas pu exprimer tout son potentiel car le tempo lui était dicté par la voiture ouvreuse, et par les 41 lièvres qui se sont relayés autour de lui. Dès le départ, le motif était imprimé avec une allure constante oscillant entre 2’48’’ et 2’52’’. Cela l’a privé de son talent, de sa réserve de puissance. A Berlin justement, c’est lorsque ses lièvres ont craqué, au 25ekm qu’il a pu faire sa course. Il avait alors couru les deux tiers du marathon sous sa vitesse moyenne, qui était de 20,8km/h, puis un tiers au-dessus. A Berlin, il était à 94% de sa vitesse critique, c’est-à-dire la plus haute vitesse que l’on est capable de tenir sans atteindre sa VO2max. A Vienne, il a couru à 98% de sa vitesse critique, c’est-à-dire qu’il a davantage puisé dans ses réserves. »
Selon vous, Eliud Kipchoge a donc réalisé une meilleure performance à Berlin en 2018 même s’il a couru plus vite à Vienne en 2019 (1h59′ ?
« Oui tout à fait. Dans le mot performance, il y a le chrono final certes, mais aussi le chemin parcouru pour l’accomplir. Si tout n’avait pas été si codifié et planifié à l’avance, on aurait peut-être pu voir les chiffres « 1h58 » ou « 1h57 » s’afficher à Vienne. En tout cas, le marathon en « 1h55 » nous paraît bien visible ! »
Comment expliquez-vous sa « fraîcheur » à l’arrivée à Vienne ?
« Il n’a pas tout donné car il n’a pas pu gérer sa course lui même. »
Et ses fameuses chaussures Alphafly de Nike qui font « courir plus vite ». Anecdotique ?
« Oui. »