Michel Jazy, une formidable carrière et des enseignements

Michel Jazy, lors d’un meeting à Rodez au début des années 1960

Michel Jazy, meilleur coureur de l’histoire du demi-fond français, s’est éteint le 1er février à l’âge de 87 ans. Le docteur Jean-Pierre de Mondenard lui rend hommage, en regroupant plusieurs anecdotes issues de ses rencontres avec ce grand champion.

J’ai pu rencontrer Michel Jazy à plusieurs reprises. Au début des années 1960, interne au lycée Foch de Rodez, j’avais assisté à une réunion d’athlé dans laquelle il figurait. La longueur de sa foulée m’avait impressionnée. Très fier, j’avais obtenu un paraphe au dos d’une photo de presse.

Puis, bien après, alors que j’étais devenu médecin du sport impliqué dans le cyclisme mais aussi dans le jogging et les courses de marathon alors en pleine expansion, il m’avait sollicité pour donner des conseils nutritionnels et d’hydratation à l’une de ses relations, candidat au marathon de New York.

Lors de cet entretien dans les locaux d’Adidas, rue du Louvre à Paris ( société dans laquelle il exerçait dans le secteur des relations publiques), j’avais pu le questionner sur sa pratique de l’athlétisme de haut niveau (entraînement, kilométrage, blessures, soins, etc.).

Michel Jazy, lors d’un meeting à Rodez au début des années 1960
A l’INS, Lors d’un championnat des écrivains sportifs aux côtés de Paul Vialar, président de cette association d’écrivains sportifs. ©DR

A l’arrêt de sa carrière à 30 ans passés, Michel Jazy avait grandi de 2 cm…

Lors de cette discussion, il m’avait révélé qu’en raison du kilométrage imposé par sa pratique pédestre (environ 30 kms quotidiens), sa taille qui était normalement de 1,77 m, avait perdu 2 centimètres.

D’ailleurs, dans le premier ouvrage qui lui est consacré ‘’Jazy quinze cents à la une’’ signé par le journaliste Robert Parienté, il est signalé ses mensurations : 1,77 m / 65 kg.

A l’arrêt de sa carrière en 1968, à plus de 30 ans et quelques mois après avoir rangé ses pointes et bien sûr ses runnings d’entraînement, il avait de nouveau retrouvé 2 cm sous la toise, à un âge où l’espoir de grandir s’est envolé depuis longtemps. Ce tassement plus ou moins prolongé suivant l’intensité et la durée de la carrière pédestre est dû aux chocs des pieds sur le sol.

Pour la marche, l’impact est équivalent au poids du corps, en revanche lors de la course – suivant la vitesse – il varie entre 3 et 5 fois le poids du sportif.

Ce constat je l’avais déjà fait sur moi-même. En moyenne, pour une heure de footing, je rapetissais d’un centimètre que je récupérais pendant la nuit.

A l’époque, collaborateur de différentes revues de course à pied telles que Mondial Marathon et Jogging International, dans mes articles j’avais répercuté cette information de Michel Jazy qui avait grandi de deux centimètres à plus de 30 ans.

A vélo, Michel Jazy montait les bosses à la manière d’un cyclocrossman

Michel Jazy, lors d’un meeting à Rodez au début des années 1960
Michel Jazy, lors d’un meeting à Rodez au début des années 1960. ©DR

Connaissant mon implication dans le vélo de compétition, il m’apprit que, gosse, il voulait faire du cyclisme. « Mes parents n’ont pas voulu ; je n’ai pas eu de vélo pour m’entraîner. Alors, j’ai opté pour la course à pied mais j’aime toujours le cyclisme. » Il ajoutait qu’aujourd’hui, il lui arrivait de faire des sorties vélo avec des amis mais dans les côtes il était largué par manque d’habitude avec le dérailleur. Il avait cependant trouvé la parade pour ne pas être distancé ; il descendait de sa machine, la mettait sur l’épaule et, à la manière d’un cyclocrossman grimpant une bosse, remontait tout le groupe.

Loi des 6-7 heures plutôt que 3h, pour le dernier repas avant une compétition

Par ailleurs, lors d’un entretien, Michel Jazy m’a appris que la loi des trois heures précédant la compétition était inadaptée pour les courses de demi-fond où l’intensité de l’effort est maximale dès les premières foulées. En raison d’expériences antérieures de vomissements dès la ligne franchie, le champion se donnait pour règle de n’absorber aucun aliment liquide ou solide dans les 6 ou 7 heures qui précédaient une course.

Pourquoi ce long intervalle entre le dernier repas et le départ ?

Lorsque l’activité physique a lieu en pleine digestion, celle-ci est fortement perturbée. Des crampes d’estomac voire des vomissements, de la tachycardie (augmentation par minute du nombre des battements du cœur), de l’essoufflement peuvent apparaître.

La masse sanguine, au moment de la digestion, se trouve dérivée vers l’appareil digestif et ce au détriment des muscles et du cerveau. Si, à cet instant, le sportif entre en action, les muscles seront inévitablement pénalisés alors qu’ils réclament un surplus sanguin riche en oxygène pour accomplir leur travail.

D’où manque de tonus, mise en train lente et pénible, rendement diminué, somnolence. Ainsi, il est facile de comprendre que digestion et effort musculaire ne peuvent s’associer sans risque de contre-performance.

Certains athlètes de haut niveau afin d’éviter toute surprise, d’autant que le dernier repas ne jouant aucun rôle dans la fourniture énergétique de l’épreuve qui suit, s’abstiennent de manger bien au-delà des trois heures traditionnelles.

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Michel Jazy, data et repères

  • Né le 13 juin 1936 – Oignies (Pas-de-Calais, 62)
  • Décédé le 01 février 2024 – Dax (Landes, 40)
  • Surnoms : Le zèbre des corons (par ses copains d’Oignies); l’Ange de la piste (par le dessinateur Robert Déro) ; La Danseuse (par ses partenaires en bleu car à ses débuts en équipe de France Jazy porte un short en soie confectionné par sa mère) ; P’tit champion (par Maurice Fournier) ; le Fils de Gaston (Meyer, rédacteur en chef à L’Equipe et responsable de l’opération Jazy)
  • Études : Certificat d’études primaires (CEP, 1949) ; Certificat d’aptitude professionnelle (section imprimerie)
  • Service militaire : Bataillon de Joinville (1956-octobre 1958)
  • Profession : groom-liftier dans un cercle de jeu – le Bridge-Club – avenue de la Grande Armée à Paris ;  typographe-linotypiste (Petit-Rousseau, imprimerie Chaix, journal L’Equipe 1958-1962, affecté à Sport et Vie) ; agent commercial chez Perrier (1963-1974), Adidas (1973-1990) ; président-directeur du Parc des Princes de juin 1990 à 1996
  • Morphologie : 1,77 m / 65-66 kg
  • Foulée : 2 m 30
  • Pouls : 52 (1966)
  • Capacité pulmonaire : 6,5 litres
  • Santé : pontage cardiaque en 1987
  • Famille : marié à Irène Denis le 19.10.1957 à Montmartre (Paris); deux filles : Pascale (née en 1959) et Véronique (née en 1962) ; Monique, sa 2e épouse
  • Dirigeant : membre de l’Académie des Sports (1980-1985) 
  • Décoration : Commandeur de la Légion d’Honneur (07.09.2001)

Parcours sportif et encadrement

  • Initiateur : Gérard Marzin, un jeune coureur qui lui a mis les pointes aux pieds pour sa 1re course : le Challenge de la première foulée qu’il a remporté haut la main.
  • Entraînement : 25 à 30 km/jour ; 160 km/semaine ; 9 000 km/an. En six ans, de 1956 à 1962, a parcouru 54 000 km en courant, le plus souvent en forêt de Marly.
  • Clubs : CO Billancourt (1953) ; Individuel (1954-1955) ; CA Montreuil (1956-2011)
  • Coachs : René Frassinelli dit Frassi (secrétaire de police), Jo Malléjac (Canadien)
  • Préparateur physique : Maurice Rousseaux, professeur d’EPS, ancien champion de France des 100 et 200 m en 1932
  • Masseur : Adrien Josié
  • Sélections internationales séniors : 59 (1956-1966)

Le palmarès de Michel Jazy

Michel Jazy, lors d’un meeting à Rodez au début des années 1960
Michel Jazy, lors d’un meeting à Rodez au début des années 1960
  • Jeux olympiques : 1956 à Melbourne 1500 m, éliminé en série (7e de la 2e série); 1960 à Rome 1500 m, 2e (finale le 06 septembre), 1964 à Tokyo 5000 m, 4e (finale le 18 octobre)
  • Championnats d’Europe 1500 m : 1962 (1er), 1966 (2e), 1966 (1er)
  • Championnats d’Europe 5000 m : 1966 (1er)
  • Championnats de France (11 titres) :
  • 800 m 1961 (1er), 1962 (1er)
  • 1500 m 1956 (1er), 1957 (1er), 1958 (1er), 1960 (1er), 1963 (1er), 1964 (1er)
  • 5000 m 1966 (1er)
  • Cross  1962 (1er), 1965 (1er), 1966 (1er)
  • 4 x 800 m (club) 1962 (1er), 1963 (1er), 1966 (1er)
  • Cross du Figaro : 1961 → 1964 (1er)
  • Records du monde (9)
  • Mile : 3‘53‘‘6 (1965)
  • 2000 m : 5‘1‘‘6 (1962), 4‘56‘‘2 (1966)
  • 3000 m : 7‘49‘‘2 (1962), 7‘49‘‘ (1965)
  • 2 miles : 8‘29‘‘6 (1963), 8‘22‘‘6 (1965)
  • 4 x 1500 m : 15‘4‘‘2 (1961), 14‘49‘‘ (1965)
  • Records d’Europe (18)
  • Records de France (51)

Mémoire : plusieurs enceintes sportives portent son nom :

  • Complexe sportif Michel Jazy à Bussy-Saint-Georges (Seine-et-Marne, 77)
  • Tribune Michel Jazy au Stade de St-Maur-des-Fossés (Val-de-Marne, 94)
  • Piste d’athlétisme à Redon (Ille-et-Vilaine, 35)

Anecdotes : de 1959 à 1966, Jazy a reçu 500 000 lettres ou cartes postales d’admirateurs. Dans les 10 jours qui ont suivi Tokyo, il a reçu 60 000 lettres [réf : Mes victoires, mes défaites, ma vie, éd. Solar 1967. – p 244]

Citations-témoignages sur la carrière de Michel Jazy

Ski français : Y-a-t-il une incidence du public, de ses encouragements, sur votre comportement ?

« Bien sûr. Je suis très sensible à l’ambiance d’un stade, des spectateurs qui crient, des haut-parleurs qui annoncent les temps, de toute cette vie qui est assez électrisante. Il n’y a pas de comparaison entre une course disputée devant un public qui réagit et une autre sans public. » [Ski Français, 1963, n° 136, mai, p 11]

Paris-Match : « Si j’étais resté célibataire, je n’aurais jamais fait la carrière que j’ai faite. Je dois 90% de ma réussite à ma femme (…) Jusqu’ici, ma femme m’a toujours encouragé dans cette voie. J’ai eu une chance extraordinaire de tomber sur une femme intelligente et réfléchie, qui a compris que j’aimais beaucoup la vie familiale mais aussi que la course à pied me tient à cœur. » [Paris-Match, 1965, n° 845, 19 juin, pp 88-89]

Paris-Match : « Au fond, mes médailles et mes défaites ce sont des péripéties. Je suis sûr d’une chose, tu vois, ce que je suis c’est grâce à la course à pied que je le suis devenu. L’important c’est qu’elle a mangé beaucoup de ma vie privée mais qu’elle m’a aussi permis de rencontrer des tas de gens. J’ai plus appris je crois de ces gens en quelques années qu’en une vie entière vécue loin de tout, comme cela aurait dû m’arriver. » [Paris-Match, 1966, n° 914, 15 octobre]

Articles sur Michel Jazy

Sport et Vie, 1959, n° 33, février, pp 44-47, 74 ;

Le Miroir des Sports, 05.10.1959, p 7 ; 09.09.1963, pp 24-25 ; 26.05.1966 ; 17.08.1966 ;  28.09.1966 ; 12.10.1966 ; 26.10.1966 ;  29.12.1966, p 15 ;  09.02.1967, p 24 ; 14.12.1967, p 20

Paris-Match, 1962, n° 689, 23 juin, pp 56-61 ; 1962, n° 691, 7 juillet, pp 72-75 ; 1963, n° 756, 05 octobre ; 1965, n° 845, 19 juin, pp 80-89 ; 1966, n° 914, 15 octobre

Ski français 1963, n° 136, mai, pp 10-11

Les Cahiers de L’Equipe : Athlétisme 67,  n° 31, pp 116-119;

Athlétisme, 2000, n° 433, septembre, pp 16-17 ;

L’Equipe Magazine, 2001, n° 1000, 7 juillet, pp 98-102

L’Equipe, 27.08.2003, p 9 ; 08.06.2015, p 26 ; 13.06.2016, pp 54-55 ; 27.07.2020, pp 20-21 ; 07.02.2024, pp 1-7

Ouvrages : Jazy. Quinze cents à la une par Robert Parienté. – Paris, éd. La Table Ronde, 1963. – 223 p ; in ‘’Huit Champions français’’ par Louis Baudouin. – Paris, éd. Librairie Hachette, 1964. – 250 p ; Mes victoires, mes défaites, ma vie .- Paris, éd. Solar, 1967 .- 283 p ; Le jogging : conseils pratiques et médicaux par Michel Jazy et le Dr Pierre Sagnet. – Paris, Solarama, 1979. – 63 p ;  Jazy. L’Ange de la piste par Alain Billouin. – Paris, éd. Prolongations, 2007. – 311 p