Laurie Phaï : « courir m’a permis de me relever »

Laurie Phaï, sur son premier l'Ultra-Trail d'Angkor au Cambodge.

Laurie Phaï s’est mise à courir pour rebondir à la suite d’un drame personnel. Cette franco-cambodgienne battante, désormais marathonienne et championne de trail porte fièrement les couleurs du Cambodge et s’engage fort pour le sport. 

Le sport à haut niveau fait partie de votre vie depuis toujours, avec le ping-pong d’abord. 


« Oui, j’ai commencé le tennis de table à 7 ans. J’ai rapidement été dans les meilleures françaises de ma catégorie. J’ai intégré le CREPS de Montpellier puis l’INSEP pendant 7 ans. A 21 ans, j’ai décidé d’arrêter ma carrière internationale pour décrocher mon master en droit RH à Paris II. »


Vous avez commencé à courir en 2013, après la perte de votre fille à la naissance. Comment la course vous a aidé ?

«  Quand je faisais du ping-pong, je détestais courir pendant la préparation physique. Mais après cet événement, j’ai ressenti le besoin de transpirer, de faire sortir cette rage, ce sentiment d’injustice. Il fallait surtout que je tienne pour mon fils Antoine qui avait un an. Alors après 3 jours de néant, j’ai dit stop. J’ai repris le boulot et j’ai essayé de faire face, de me relever. Une fois que mon corps a été prêt, j’ai enfilé une paire de baskets. Courir m’a redonné l’appétit, m’a aidé à retrouver le sommeil et un peu de musculature. Un équilibre physique et mental bien sûr, avec les fameuses endorphines… »



Laurie Phaï, votre premier dossard, c’était où ? 


« En août 2013, au Tripou Trail de 12 km en Aveyron. Je suis partie comme une cinglée, du coup, j’étais cuite au bout de 2 km. J’ai souffert mais cela m’a plu ! Il faisait beau, y’avait de la musique, un super ravito… Après des années passées dans des gymnases, j’avais trouvé ma reconversion ! »


Vous avez remporté 4 fois le Trail d’Angkor, une course chère à votre cœur…

« En effet, mon père est Cambodgien. Pendant trois ans, il a été prisonnier dans un camp khmer rouge. Parents et sœurs assassinés, un vrai traumatisme. J’ai appris tout cela tardivement. En 1978, il s’est réfugié en France, a rencontré ma mère qui donnait des cours d’alphabétisation aux réfugiés et ils ont eu 3 ans, dont moi, la dernière. 
En mai 2016, lors d’un trail au Pic Saint Loup je rencontre Ludovic Collet, speaker phare du trail et coach. Il me parle de l’Ultra-trail d’Angkor et me propose d’y aller en 2017. Je n’y avais jamais mis les pieds. Ce séjour a été très fort, tout un symbole, je découvrais enfin mes origines. J’ai couru le 32 km sans objectif, je me suis sentie bien. Quand j’ai passé la ligne en vainqueur, j’ai pensé à mon père qui avait couru sur ce sol pour fuir les khmers rouges. »

Cette première course à Angkor a été un déclic

« Suite à la course, un journaliste qui vit au Cambodge m’a mis en contact avec le Comité Olympique Cambodgien qui m’a proposé de me préparer sur des objectifs sur la route et de créer une équipe de trail pour les championnats du monde de 2019. Cela a changé ma vie et m’a surtout rapproché de mon père en permettant de mieux le comprendre. »

Le documentaire Au-dela du temps retrace le parcours de vie de Laurie Phaï.

Le documentaire Au-delà du temps d’Andy Collet retrace votre histoire. Comment est né ce projet de film ?


« Andy est réalisateur professionnel, c’est le frère de Ludovic Collet, qui m’a coaché et a eu l’idée de ce documentaire. Il m’a suivi au semi de Montpellier en 2018 et a interviewé mon père, qui s’est livré face caméra pour la première fois sur sa capture, sa fuite et ses blessures. Une séquence très forte. Puis Andy m’a suivi pendant près de 4 ans pour réaliser ce documentaire. Il a reçu deux prix du meilleur documentaire. J’espère qu’il sera bientôt disponible en VOD. »

Quel est votre plus beau souvenir de course Laurie Phaï ?

« Les championnats du monde de trail en 2019, sans hésitation. Nous étions 5 franco-cambodgiens, tous amateurs avec des ancêtres victimes de la guerre. On représentait pour la première fois le Cambodge aux championnats du monde de trail et on a vécu un truc fou. A chaque fois que je regarde la séquence qui résume ce moment dans le documentaire (que j’ai déjà vu au moins 25 fois), les larmes coulent… »


Quels sont vos objectifs en 2022 ? 


« Je découvrirai la piste sur 10 000m aux championnats nationaux du Cambodge le 25 mars pour me qualifier pour les prochains Jeux d’Asie en septembre 2022 en Chine et aux Jeux d’Asie du Sud-est d’août 2023 au Cambodge. Je retournerai aussi sur marathon de Valence pour passer sous les 3h, si j’y arrive. Et je ferai aussi bien sûr des trails avec l’équipe nationale du Cambodge, sur du court principalement. »

Vous êtes championne, maman et juriste. Comment faites-vous pour tout concilier au quotidien ?


« Championne, non. Maman d’abord oui. Et actuellement je suis assistante juridique en indépendante. Je travaille à mi-temps, une demi-journée chaque jour, donc je peux me libérer du temps. Je m’entraîne 6 jours sur 7. J’ai la chance d’avoir un compagnon merveilleux Olivier, qui m’aide beaucoup au quotidien. Cet équilibre me rend heureuse. »

Vous avez très vite atteint le haut niveau en trail, jusqu’à participer aux championnats du monde en 2019. Aviez-vous conscience de votre potentiel ? 

« Au départ je ne voulais plus qu’on me parle de haut niveau, d’entraînement, de club… etc! J’en avais eu assez avec le tennis de table. Et en 2016 Ludovic l’a bien géré, il m’a proposé de me coacher mais il avait compris qu’il fallait y aller tranquille, on se fixait une course qui me faisait envie et il me conseillait pour m’y préparer au mieux, sans pression. Et ça fonctionnait très bien. Il voyait le potentiel je crois mais j’étais encore fragile psychologiquement donc on ne se prenait pas la tête. On a avançé comme ça pendant 4 ans, en s’entourant d’un entraîneur spécifique route également Sébastien et ils ont réussi à me faire progresser. Je les en remercie encore aujourd’hui.»

Laurie Phaï s’est mise à courir pour rebondir à la suite d’un drame personnel. Cette franco-cambodgienne battante, désormais marathonienne et championne de trail porte fièrement les couleurs du Cambodge et s’engage fort pour le sport. 
Laurie Phaï compte parmi les 10 athlètes de la Women Evadict Team, première équipe de trail féminine.

Quel regard portez-vous sur votre carrière de coureuse ?


« Ça me fait bizarre d’en parler car je suis loin du niveau des meilleures. Aujourd’hui, les objectifs avec le Cambodge me motivent énormément. J’ai envie de belles performances. J’aspire aussi à aider au développement du sport là-bas. Je suis d’ailleurs conseillère à la fédération cambodgienne d’athlétisme cette année. »


Vous êtes une femme très engagée, notamment avec votre association, Trail Sans frontières… 


« Il s’agit d’aider au développement du trail dans le monde. Lors de mes déplacements, je distribue des vêtements de sport et des baskets que je collecte en France, car ils en ont besoin… On a tendance à cumuler du matériel dont on ne se sert plus, autant en faire profiter ! »


Récemment, vous avez intégré Women Evadict Team. Le début d’une grande histoire…


«  Quand Thierry Breuil, chef de produit Evadict m’a présenté le projet, j’étais en discussion avec un autre team. Mais je n’ai pas hésité, j’ai foncé ! Decathlon est un groupe français avec des valeurs auxquelles j’adhère totalement. Cette équipe féminine est incroyable. De sacrées nanas, un super coach, Philippe Propage, des managers très humains et un accompagnement sur trois ans pour avancer sereinement. Evadict va d’ailleurs soutenir l’équipe cambodgienne de trail aux prochains championnats du monde. Je suis très heureuse de pouvoir participer à tout cela. Je n’aurai jamais cru en arriver là la première fois que j’ai mis des baskets en 2013… »