FKT GR223 : l’odyssée de Sonia Poutrel
En parcourant les 623 km du GR223 qui relie Honfleur au Mont-Saint-Michel en 7 jours, 3 heures et 42 minutes, Sonia Poutrel vient d’établir le tout premier Fastest Know Time féminin sur ce tracé à travers le littoral normand. Un exploit doublé d’une bonne cause : collecter des fonds pour les enfants du Centre Hospitalier Public du Cotentin. Rencontre avec une ultra-runneuse au grand cœur.
Une jeunesse loin des sentiers
Née à Valognes, dans la presqu’île du Cotentin, et ayant passé toute la première partie de sa vie à Bricquebec, en Normandie, Sonia Poutrel n’aurait jamais dû courir autant. Ou du moins, rien ne semblait l’y destiner. En effet, souffrant d’asthme durant sa jeunesse, elle a passé plus d’heures à soigner sa pathologie au Centre Hospitalier Public du Cotentin qu’à arpenter les sentiers de la côte. Ce n’est que bien plus tard, autour de ses 20 ans, alors qu’elle étudiait à Paris, qu’elle chausse pour la première fois les baskets. Avec Mehdi, son compagnon, elle parcourt ses premiers kilomètres, dans la douleur, sans grand enthousiasme.
Le trail, une révélation
C’est en 2015, alors qu’ils étudient l’architecture à Rouen, que Sonia et Mehdi découvrent la course nature. Et c’est la révélation pour Sonia ! Entre sentiment de liberté, découverte de la nature, endurance et envie de performer, tout est réuni pour faire du trail sa seconde nature. Aujourd’hui jeune architecte de 31 ans installée depuis peu en Haute-Savoie, elle s’épanouit dans l’ultra-endurance. En 2021, elle a ainsi décroché une belle victoire sur l’Infernal Trail des Vosges, une course de 210 km. Le 19 juin 2022, elle s’élançait de Honfleur, avec 623 kilomètres à parcourir pour relier le Mont-Saint-Michel. Une odyssée baptisée Traversée 223 qu’elle nous raconte.
L’interview débrief de Sonia Poutrel
Running Attitude : Quelle a été ta plus grande distance parcourue en 24h durant tout ce périple ?
En général, j’étais dehors de 4h du matin jusque maximum 22h30, hormis la dernière journée qui a commencé le samedi à 3h00 et qui s’est achevée le dimanche matin à 5h00 pour parcourir 103 kilomètres en 26 heures. Mais, finalement, la journée la plus productive aura été le dimanche du départ, avec 100 kilomètres parcourus en un peu plus de 12 heures. Mais c’était sur un terrain plus abordable.
Qu’est-ce qui a été le plus difficile à gérer ?
Bonne question… Je suis partagée entre la fatigue et les douleurs imprévisibles dans les jambes, apparues dès le deuxième jour. Je ne suis pas de nature marmotte mais il est vrai que, mine de rien, vouloir courir 100 bornes par jour, ce n’est pas rien. Et avec un sommeil de mauvaise qualité, sur une durée de 2-3 heures, le corps ne comprend pas vraiment. Malgré toute ma motivation et mon envie d’avancer plus rapidement, je n’en étais pas capable. Était-ce à cause de la fatigue ? Ou des jambes lourdes ? Je ne saurais pas le dire.
Tu avais un camping-car pour les nuits. De quels soins bénéficiais-tu chaque soir ?
J’ai la chance d’avoir ma sœur qui est kiné et qui était présente du matin au soir. Elle a pu soulager mes bobos et me masser le soir avant d’aller dormir. Un sacré privilège ! En parallèle, toute une équipe était aux petits soins avec moi – famille, amis – pour m’apporter le soutien nécessaire, qu’il s’agisse des ravitaillements, de l’accompagnement sur les sentiers, etc.
Quel a été ton protocole nutrition durant cette semaine ?
Au p’tit déj’, c’était fromage blanc/banane/müesli. Ensuite, c’était souvent des barres céréales, soit celles du commerce classique, soit celles de la marque Atlet Nutrition, de la compote, beaucoup de fruits rouges les 3⁄4 premiers jours, de la salade riz/concombre/tomates, un peu de pâtes les deux premiers jours. Vers les 3 derniers jours, je mangeais pas mal de sandwichs pain de mie/beurre (beaucoup de beurre !)/confiture et des bonbons (les petites bouteilles de coca, non acidulées). Ah oui, je me suis enfilé une glace à l’eau aussi, le mercredi à 10h00 du mat’ : ça passe pas mal ! Les gommes Ta Energy aussi : une tuerie pour les gourmands ! Et sinon, j’ai pas mal picolé : de l’eau plate principalement, parfois avec de la boisson d’effort Atlet, et de la Sainte-Yorre aux ravitos.
« Je me suis foulé la cheville 100 mètres après le départ ! »
Ça ressemble à un gag, mais juste avant le départ, tu t’es fait une belle frayeur en te foulant la cheville. Que s’est-il passé ?
Haha… Juste avant le départ, n’exagérons rien. Je me suis foulé la cheville une centaine de mètres après le départ, et non pas juste avant. En fait, ma balise GPS ne fonctionnait pas. Mehdi, qui me suivait en vélo sur ce départ, vérifiait si le suivi live fonctionnait. Et quand j’ai cherché ma balise dans ma ceinture pour vérifier si elle était bien allumée, paf, il y avait un petit trou tout léger, que je me suis pris. Au moins, dès le départ, j’ai eu un signal d’alerte : attention, le pilote n’est pas dans la bagnole. J’ai donc repris mes esprits et là, je me suis vraiment mise dans ma traversée.
Nuit ou jour, quand as-tu préféré courir ?
Je dois reconnaître que les deux ne m’ont pas dérangé. Bon, si les marquages du GR pouvaient être phosphorescents, ça serait un luxe. Mais franchement… qui fait ça de nuit ? Non, vraiment, le fait de courir de nuit permet de profiter des couchers et des levers de soleil qui étaient juste magnifiques : le ciel rouge, les silhouettes des bâtiments. Et puis… que rêver de mieux que de voir à la fois le coucher puis le lever du soleil sur le Mont-Saint-Michel à six heures d’intervalle ?
La météo bretonne, tu es toujours aussi fan ?
Oula ! La météo normande, attention ! (Rires.) Franchement, j’ai eu de la chance. J’ai évité la canicule avec une première journée entremêlée de pluie et de vent. Les journées qui ont suivi étaient agréables. Je portais souvent avec une petite veste pour me protéger du vent. Le soleil était davantage présent en fin de journée. Le samedi, on a eu de nouveau un bon mélange de pluie et de vent vers Granville, jusque dans l’après-midi, mais ça commençait à me faire ni chaud ni froid. Ce n’est qu’en revoyant certaines images que je me rends compte que j’ai traversé de bonnes averses quand même !
« Je n’aurais pas pensé faire toute la traversée avec la même paire de chaussures ! »
As-tu dû faire face à des imprévus au cours de cette Traversée 223 ?
Je m’étais préparée à pas mal de choses, mais je n’aurais pas pensé faire toute la traversée avec la même paire de chaussures. En fait, j’ai commencé la balade avec des Altra Rivera, plutôt conçues pour la route/chemin simple. Et au bout de 150 bornes, je me suis dit : bon allez, change un peu du 0 drop et prends tes New Balance (les Summit Unknown). Et là : quelle erreur j’ai faite… Ça m’a provoqué de vives douleurs aux tibias. Et au lieu d’appeler mon assistance pour récupérer mes Altra, j’ai continué pendant 20 bornes avec les NB. Du coup, j’ai dû balader ces douleurs jusqu’à la fin de la traversée, bien qu’une fois les Altra récupérées, ça allait quand même mieux. Par la suite, je n’ai plus voulu prendre de risques : j’ai fait les 450 bornes restantes avec les Altra, même dans les falaises, les pierres etc. Résultat : elles sont bien fichues, mais je n’ai eu aucune ampoule ou autre inconfort ! L’autre imprévu, c’est que j’ai eu très rapidement des problèmes de circulation, que j’ai déjà plus ou moins au quotidien. Mes jambes ont vite gonflé : ça n’a pas aidé aux libres mouvements articulaires. Les chaussettes que j’avais, les belles BV Sport / Des Bosses et Des Bulles me comprimaient beaucoup trop les mollets alors j’ai ressorti une vieille paire de chaussettes basses que j’ai gardées jusqu’à la fin de l’aventure.
Y a-t-il un secteur ou une région que tu as particulièrement aimé ?
Je connaissais déjà une partie des plages balnéaires (Deauville, Cabourg…), une partie du Val de Saire (phare de Gatteville, l’Anse du Brick…) ainsi qu’une partie de la Hague (Jobourg, Herqueville…) dont je ne me lasse pas. Mais si je devais choisir un secteur, je dirais Carolles, juste après Granville : un terrain rocailleux avec un joli profil. En plus, c’est à partir de ce moment que l’on commence à voir le Mont-Saint-Michel.
« J’ai finalement préféré privilégier la récolte de dons pour les enfants malades. »
Tu avais initialement programmé une arrivée le samedi, avant de la décaler au dimanche. Pour quelle raison ?
J’avais surtout programmé d’aller jusqu’au bout et d’arriver durant le week-end. Pour l’événement, j’avais effectivement noté la date du samedi afin de donner un ordre d’idée. Au fur et à mesure de la traversée, voyant que je n’arrivais pas à courir plus vite que l’allure à laquelle j’allais, je me rendais compte que j’allais arriver dans la nuit du samedi au dimanche. Même si j’aurais aimé arriver plus tôt, il fallait que je me rende à l’évidence. Alors j’ai pris le temps de réfléchir : soit tu arrives à l’heure où tu arrives, mais de toute façon tu arriveras après le samedi après-midi et donc, de nuit, tu n’auras personne à ton arrivée au Mont-Saint-Michel ; soit tu privilégies un de tes objectifs initiaux : récolter des dons pour les enfants du Centre Hospitalier Public du Cotentin. Et donc tu prends le temps de t’arrêter dans la nuit du samedi au dimanche et tu programmes et diffuses sur les réseaux sociaux une arrivée prévue à la passerelle du Mont-Saint-Michel le dimanche à 10h30 pour partager ce moment avec ceux qui le souhaitent.
As-tu eu beaucoup d’accompagnateurs sur tout ton parcours ?
Oh oui ! Dès le départ, trois personnes que je ne connaissais pas m’ont accompagnée malgré la météo maussade. Ensuite, dans le Calvados, j’étais plutôt seule. Mais dans la Manche, j’ai dû parcourir maximum 40 kilomètres toute seule. De la famille, des amis m’ont retrouvé. Sachant que mon compagnon, Mehdi, était presque toujours avec moi, à pied ou en vélo, j’ai dû parcourir une centaine de bornes seule. Sur 620… ce n’est rien. Merci à Anthony, Léa, Eléonore, PA, Walid, Paul, Mélanie, Noémie, Florence, Irène, Lucie, Martine, Michel, Cyril, Christophe x 2, Olivier, et à ceux que j’ai oublié. Merci également aux copains, à la famille, qui ont fait des bornes (en voiture) pour être présents sur la ligne d’arrivée !
Où en est ta cagnotte ? La course est finie, mais la collecte aussi ?
Durant la semaine de la traversée, la cagnotte dédiée aux dons pour les enfants hospitalisés du Centre Hospitalier Public du Cotentin a presque doublé et j’en ai été agréablement surprise. Elle est d’ailleurs toujours ouverte et ce, jusqu’à la diffusion de la vidéo de la Traversée qui est en cours de montage par Vincent Fleury. Si on souhaite réaliser un don, rendez-vous sur le site de la collecte. Avec cet argent, je pourrai acheter de nouveaux livres, des jouets ou encore de la décoration pour le service pédiatrie. Ce ne sont pas les besoins qui manquent.
« La récupération se fait à mon allure de tortue : doucement, mais sûrement. »
Comment s’est passée ta récupération ?
Je ne sais pas si on peut déjà en parler au passé. La première semaine d’après course n’a pas été si simple : mauvais sommeil, jambes toujours un peu douloureuses, mais depuis ça va mieux. La récupération se fait à mon allure de tortue : doucement, mais sûrement. Deux semaines après la fin de la traversée, j’ai repris tranquillement la course à pied avec quelques footings, histoire de voir l’état de la carcasse. Mentalement et au niveau de la fatigue aussi, il faut prendre le temps de récupérer.
Quel est ton prochain défi ?
Bien que d’un point de vue sportif ce défi soit terminé, j’estime qu’il ne l’est pas encore complètement. Car, comme je le disais, la cagnotte est encore en ligne, et il y a le film à réaliser puis à diffuser, notamment auprès des enfants hospitalisés de l’hôpital normand. Et pourquoi pas ailleurs, d’ailleurs… L’objectif est de continuer à sensibiliser les gens sur le littoral normand ainsi que sur le fait de continuer à se projeter et faire en sorte de réaliser ses rêves. Pour ce qui est du prochain défi sportif, l’avenir nous le dira. Je suis toujours accompagnée par Stéphane Brogniart et l’année 2023 va commencer à se dessiner. Parce que trouver des idées de défi, ce n’est pas la chose la plus compliquée. Seulement, il faut bien savoir pourquoi on veut faire telle ou telle course. Parce que c’est ça qui te permet d’aller au bout – notamment dans les moments difficiles. Mais en attendant, je ne suis pas contre le fait de reprendre un ou deux dossards d’ici la fin d’année. Ce n’est pas si mal d’avoir à suivre un balisage de course finalement…
Le détail de ce Fastest Known Time est visible ICI