Barbara Humbert, l’exceptionnelle

À 82 ans, Barbara Humbert a disputé son premier 24 heures. D’un courage rare, la Valdoisienne a battu, à Brive-la-Gaillarde, le record du monde de sa catégorie. Une leçon de vie.

Vendredi 27 mai à 10h, le coup de pistolet retentit dans la Halle Georges-Brassens, à Brive-la-Gaillarde (Corrèze). Les organisateurs du ‘‘24 heures de Brive’’ sont conscients de vivre un grand moment. Ils ont certes déjà accueilli un Championnat du monde en 2010 et cinq fois un Championnat de France. Mais n’ont encore jamais été témoin d’un record du monde ou meilleure performance mondiale par groupe d’âge (Wabp). Barbara Humbert leur procure ce bonheur. Au signal de la fin de l’épreuve, l’Eaubonnaise de 82 ans, sociétaire de Saint-Brice Athlétisme en Ile-de-France, pose sur le sol son témoin et son dossard portant le numéro 216. Sa performance peut enfin être mesurée et validée.

Au terme d’un effort exceptionnel, ma coéquipière a parcouru 112 tours dans le Parc de la Guierle… soit 125,271 kilomètres ! Les records du monde des masters 9 féminines (80-84 ans) sur 24 heures sont donc améliorés. Celui sur route détenu par l’Allemande Sigrid Eichner (105,521 km). Et celui absolu réalisé sur piste par l’Anglaise Patricia Seabrook (121,869 km). Barbara rejoint Marie-Claude Noyel (sur 100 km), Huguette Jouault (sur 6 heures), Françoise Lamothe (sur 100 miles et 48 heures) et Christine David-Bodet (sur 6 jours). Elle entre ainsi dans le cercle très fermé des Françaises détentrices d’un record du monde en ultra-fond.

Un record du monde

À l’exception de rares passages aux toilettes, d’une pause de 20 minutes après 110 kilomètres et des 11 dernières minutes savourées à sa table de ravitaillement, son effort a été continu… pendant 24 heures ! La Valdoisienne n’a pas faibli sur les allées bordées de platanes bicentenaires. Elle ne s’est pas déconcentrée sur la promenade des Tilleuls chahutée par les soulevées de poussière et les clapotis de la rivière voisine. Ne s’est pas arrêtée dans une côte récurrente éreintante pour les mollets.

Et elle n’a jamais dormi. Comme il y a trois ans sur les 100 km de Millau, elle a fini main dans la main avec Patrick Pierre. Ce marcheur septuagénaire qui parcourt 2 500 km par an malgré le port d’une attelle pour soutenir sa rotule endommagée par un accident de la route. Puis elle a enlacé Jacques, son mari depuis 59 ans. Le scénario parfait.

Barbara Humbert termine le 24 h de Brive avec son ami Patrick Pierre.
Un final main dans la main avec le marcheur Patrick Pierre. ©Julien Bigorne

Une grande première à 82 ans

Pourtant, Barbara disputait son premier 24 heures et son premier Championnat de France. Le droit à l’erreur aurait été permis. Sauf que son mental a été hors norme et sa régularité métronomique. Toutes les conditions étaient réunies pour son exploit. En octobre 2019, au lendemain de son 100 km de Millau bouclé à 80 ans en 18h35, je lui propose de participer aux prochains Championnats de France des 24 heures. Dans son cas, la règle est de parcourir 100 bornes pour être classée et médaillée. Tout à fait jouable. De surcroît, sa participation s’inscrit dans un projet caritatif que j’initie.

Sa distance parcourue sert de base aux dons au profit de Casiopeea, de 10 centimes à 1 euro par kilomètre. Cette association propose des programmes et des défis sportifs à des femmes atteintes d’un cancer du sein. Sa motivation est déjà au zénith. Malheureusement, en 2020, les inscriptions sont trop vite closes. En 2021, l’épreuve est annulée puis reportée à une date qui ne nous convient pas. Il nous faut donc attendre les 26 et 27 mai 2022 pour remettre le projet sur les rails.

Photo souvenir avec l’équipe de Saint-Brice Athlétisme. Barbara Humbert est à gauche de Julien Bigorne, au centre, auteur de cet article ©Martin Useo.

40 ans de course à pied pour Barbara Humbert

Barbara se prépare méticuleusement pour ce rendez-vous, qui fait figure de couronnement. « Je me suis astreinte durant plusieurs mois à 3 entraînements par semaine. 25 km de course à pied et 25 km de marche au total. Et à des séances de vélo d’appartement. J’ai aussi bouclé, entre 2019 et 2021, 12 brevets Audax. Ce sont des sorties de marche à allure régulière de 25 à 50 km. Et récemment, j’ai fini le Semi de Paris en 2h49 et le Marathon de Paris en 6h31 », précise la native d’Achern en Allemagne. Sa longue expérience a aussi été précieuse. « En 40 ans de course à pied, j’ai bouclé 137 courses de moins de 40 kilomètres, 54 marathons dans 10 pays et deux Cent kilomètres à Millau (à 70 et à 80 ans !) », résume Barbara, maman de 3 enfants, de 7 petits-enfants et 2 arrière-petits-fils.

Le marathon pour passion

« Mais tout tient à peu de choses. Je suis venu tardivement à la course à pied. Si ma fille aînée, alors élève à l’école de la Légion d’Honneur, n’avait pas eu à préparer une épreuve d’endurance pour le bac, j’aurai pu passer à côté de ma passion », confie la mamie bon pied bon œil. Pour épauler sa fille, la secrétaire trilingue effectue alors ses premières foulées en 1982. « Au début, cela se limitait au tour du village de Bouffémont, notre ancienne commune de résidence. Puis, très vite, je suis partie plus loin, en forêt de Montmorency. La lecture d’un article m’a ensuite donné l’envie de découvrir le marathon. J’ai réalisé mon premier en 1984 à Paris. C’était un 100% féminin organisé pour la 7e et dernière fois par la marque de cosmétiques Avon. J’ai réalisé mon meilleur en 3h48, en 1986. C’était à Berlin, à l’époque du Mur et de l’arrivée sur la Kurfürstendamm. Puis, mon meilleur souvenir reste celui de New-York en 1999. J’avais terminé 10e de ma catégorie d’âge ».

Barbara Humbert, imperturbable pour son premier 24h à 82 ans.
Barbara Humbert, imperturbable pour son premier 24h. ©Martin Useo

Une femme de défis

Durant son 24 heures, dont l’ambiance lui a rappelé le Marathon du Vignoble d’Alsace à Molsheim, elle se souvient de certains de ses marathons et de ses périples nocturne, notamment Paris-Mantes 2019. Sa concentration, affûtée par ses longues heures d’apiculture et de jardinage (ses autres passions), reste optimale. Même aux heures les plus avancées de la nuit. Même lorsque je lui annonce après 90 kilomètres, que le record du monde absolu de sa catégorie n’est pas à 105 mais à 121 kilomètres. En effet, j’ai découvert une actualisation de la liste des records deux jours seulement avant la course sur le site de la fédération internationale d’ultra-fond. Mais le doute ne s’est pas immiscé. « Je visais de toute façon plus de 120 kilomètres. Je me suis dit qu’en gardant la même allure, entre 5 et 6 km/h, cela restait possible », dit-elle.

Leçon de vie !

Les encouragements à chaque tour de son mari, ses ravitaillements réguliers, la parfaite écoute de son corps et son courage l’ont menée sur le chemin de l’exploit. Lorsqu’à quelques heures de l’arrivée, le journaliste Patrick Montel lui pose la question « À quoi on pense quand on a mal aux jambes comme ça ? », la réponse est nette : « Mais je n’ai pas mal aux jambes !». Dans cette vidéo vue plus de 5 000 fois en quelques heures, elle donne la clé de son succès. «Pour réaliser ses rêves, il faut y aller sans trop se poser de questions…». Une leçon de vie. La doyenne des finishers des trois derniers marathons de Paris compte poursuivre « son combat quotidien contre le laisser-aller ». Elle se fixe déjà de nouveaux défis. Le marathon de Paris 2024, les 100 km de Millau à 90 ans. Mais aussi, transmettre sa passion de la course à pied. Son petit-fils Charles (co-fondateur du site Uptrack-club.com et les téléspectateurs, qui l’ont suivi dans l’émission ‘‘Allô docteurs’’ sur France 5, n’ont pas manqué de suivre le bon chemin.