Annulation des Templiers : l’organisation s’explique

Le week-end dernier, le 25e Grand Trail des Templiers a été annulé en dernière minute, à cause d’un épisode météo violent. Retour à chaud sur une décision difficile et mal comprise, en compagnie d’Odile Baudrier, co-organisatrice.   

Par Emmanuelle Rota, inscrite sur le Grand Trail des Templiers.

Quand à 23h le 19 octobre, veille de la course, la nouvelle de l’annulation est tombée sur les réseaux sociaux, tout le monde a cru à un fake. Du moins ceux qui étaient encore réveillés car la plupart des coureurs de ce mythique Grand Trail des Templiers (78 km – 3650m de dénivelé) était déjà au lit pour prendre des forces avant le départ prévu à 5h45 le lendemain.  Mais une heure plus tard, 2700 SMS partaient pour confirmer individuellement et une seconde fois l’annulation, laissant cette fois-ci la totalité des traileurs incrédules, terriblement déçus et pour certains très en colère également. 
Pourquoi une annulation aussi tardive ? Pour quelles raisons, un parcours de repli n’a même pas été proposé ? Qui a pris cette décision rare et lourde de conséquences non seulement pour les milliers de coureurs qui avaient engagé des frais pour venir mais également pour l’organisation ? Lorsque nous rencontrons Odile Baudrier, le lendemain après-midi, l’orage s’est arrêté de gronder il n’y a pas très longtemps, les rues sont ravinées par les pluies diluviennes. Ses traits sont tirés par la nuit blanche et la décision difficile qu’elle a dû prendre pour la première fois depuis les 25 ans de cette édition. Co-organisatrice de festival des Templiers avec son mari Gilles Bertrand, elle nous raconte sa course contre la montre cette nuit-là pour essayer de sauver Les Templiers.

Le vent soufflait à 118km/h, là-haut, sur le Pouncho.

Le traditionnel départ de ce Grand Trail. ©DR

Pourquoi avoir annoncé l’annulation sur les réseaux sociaux, au risque que beaucoup de coureurs n’aient pas l’information ? 


Odile Baudrier :  » C’est le moyen de communication le plus facile, le plus direct pour répandre rapidement une information, grâce notamment au système de partage. Le chronométreur a pris la main ensuite pour envoyer les sms mais il y avait beaucoup de numéros de téléphone pas formatés comme il fallait, avec des points par exemple entre les numéros ; il y a eu pas mal de manipulation technique à faire avant de les envoyer. »

Est-ce qu’il y a des coureurs se sont présentés quand même au départ ?

O. B : « Très peu. 15 ou 20 pas plus. Nous on était là, à 5h15. J’ai pu lire qu’on avait été absents. C’est faux, on était sur le domaine toute la matinée. D’ailleurs je me suis fait apostropher très sévèrement. Il y a eu beaucoup d’agressivité de la part de certains coureurs. »

Vue magique de ce Festival des Templiers en 2015 ©E.Tissot

Pourquoi ne pas avoir accueilli les coureurs pour un petit déjeuner par exemple ce matin, en guise de réconfort ?


O. B : »Parce qu’on ne voulait pas que quiconque mette les pieds sous la grande tente ce matin, c’était dangereux. C’est le problème des structures légères. Le chapiteau, même l’équipe de nettoyage, on leur a interdit d’y pénétrer. Les rafales de vent ont été mesurées à 90km/h en bas, à 118km/h là haut sur le Pouncho. »


Revenons à cette annulation, comment en êtes-vous arrivés là ?

O. B : « En fin de journée hier, il y a eu concordance des prévisions météo : un épisode de pluie avec orage et grêle, situé entre 16h et 17h d’abord, puis annoncé ensuite entre 14h et 17h. On a commencé à bâtir plusieurs scénarios et des parcours de repli qui s’appuyaient sur cet horaire. L e but, c’était de faire rentrer tous les coureurs avant 16h. C’est là qu’un bulletin météo a prédit l’épisode à partir de 11h. On a donc retravaillé sur un créneau de course entre 6h et 11h. Une durée de 5h pour quelqu’un qui court moyennement, on se disait que ça faisait très peu de kilomètres. On a continué quand-même à essayer de remonter tout un circuit en évitant certaines portions dangereuses. Il fallait aussi prévoir de rebaliser tout le parcours, changer les points de ravitaillement, le tout en pleine nuit avec déjà des rafales de vent très fortes. Et puis à un moment, la société de sécurité qui nous gère, a estimé que même si l’on partait sur peu de kilomètres, la prise de risque restait importante, et que personne ne pouvait véritablement prédire le début de l’épisode orageux. Et cela s’est révélé vrai ce dimanche matin : l’épisode était bien là, violent, et plus précoce que prévu. » 

Lorsque l’on est organisateur, on est garant de la sécurité des coureurs mais aussi des bénévoles et prestataires.

C’est la société de sécurité ou vous-même Gilles Bertrand, votre mari, qui avez pris la décision finale d’annuler ?

O.B : « C’est Gilles Bertrand et moi-même. On a réfléchi avant de prendre cette décision douloureuse. On ne voulait pas prendre le risque d’avoir un accident et de se dire qu’on avait loupé le coche et que toute notre vie on porterait les conséquences de cette décision. Bien sûr, ce matin des gens sont partis courir sous l’orage – moi aussi ça m’est arrivée de courir sous l’orage – mais c’est autre chose de diriger une course où l’on envoie 2700 personnes dont on est garant. Si on n’est pas garant de leur sécurité, on n’est pas organisateur. C’est la façon dont on voit les choses, c’est notre engagement.  On a fait face à nos responsabilités. »

Edition 2015. ©Roland Thievenaz

Pourquoi ne pas avoir pris la décision plus tôt dans l’après midi alors que la météo annonçait déjà l’arrivée d’un épisode orageux ?

O.B : « Parce qu’un épisode cévenol est un épisode changeant. Le bulletin n’était pas excellent depuis deux jours, c’est vrai, mais par contre il était extrêmement changeant. Par exemple, le samedi devait être pluvieux et il n’a pas plu de la journée ! Peut-être qu’on a trop tardé mais on a essayé de préserver la course jusqu’au dernier moment. C’était une décision lourde à prendre. 

C’est la première fois que vous faites face à ce genre de décision ?

O.B : « Oui, on organise Les Templiers depuis 25 ans. C’est la première fois qu’on est obligé d’annuler une édition. On a vécu des éditions avec des pluies très importantes, de la neige, on a raccourcit parfois le parcours, mais jamais de l’orage avec des vents aussi violents. On a toujours su que les épisodes Cévenol pouvaient nous perturber. Il a fallu que le malheur tombe sur la 25e édition. »

Je l’ai très mal pris, c’était notre anniversaire des 25 ans. Cette édition marquait un quart de siècle de notre engagement. C’est un traumatisme. 

Odile Baudrier, co-organisatrice.

Comment le vivez-vous ?

O.B : « Très mal. Très très mal. Cela a été un gros choc. J’ai cru jusqu’au bout qu’on allait pouvoir trouver une solution. Mais quand j’ai pris conscience que les médecins étaient plus que réticents, qu’ils avaient peur de devoir faire face à des évacuations ou à des soins dans des zones compliquées où porter un brancard serait très complexe, j’ai estimé qu’on ne pouvait pas faire prendre de si gros risques pas seulement aux coureurs mais aussi aux bénévoles et aux prestataires. On est garants de tout le monde. Mais je l’ai très mal pris, c’était notre anniversaire des 25 ans, ça marquait un quart de siècle de notre engagement. C’est un traumatisme. »

Pour les coureurs aussi au vu des réactions...

O.B : « Bien sûr. Ils sont extrêmement déçus, ils se sont entrainés, préparés donc la déception est commune. On comprend qu’on les a déçu mais on ne pouvait pas les laisser se mettre en danger. Il a fallu assumer cette décision puis gérer la logistique car on s’est retrouvé  avec des aliments qui ne sont pas consommés, qu’il a fallu récupérer sur les zones de ravitaillement et stocker au mieux. On va réfléchir mais tous nos frais sont engagés ; on a payé tous nos prestataires, notre chronométreur était là, les puces étaient fournies, il y a un tas de dépenses qui ne pourront pas être économisées. Je comprends que les gens exigent un geste mais on est face à un événement exceptionnel. On va réfléchir après avoir fait un point financier. Cela pose question sur la façon dont les coureurs comprennent le coût d’inscription. Ils estiment toujours que c’est trop élevé et ne comprennent pas à quoi ça sert. Ce matin; un coureur m’a détaillé : la médaille, le t-shirt finisher, le repas etc… Mais une course ce n’est pas que ça. On a des coûts de sécurité qui sont très élevés, le chronométrage l’est aussi, c’est un suivi de pointe. Cette globalité de frais de fonctionnement semble toujours mystérieux pour les coureurs. Ca leur paraît normal qu’ils aient du ravitaillement et qu’ils soient livrés mais ce n’est pas magique. Toutes les médailles, on peut les mettre à la poubelle puisqu’elles sont millésimées. Les gilets, on ne sait pas encore, il faut qu’on réfléchisse pour voir ce qu’on peut faire ou pas. »

Est-ce que cela vous emmène à penser les choses différemment pour l’année prochaine ?

O.B : « Je ne sais pas encore mais c’est sûr qu’il serait judicieux d’élaborer peut être un plan B solide, mais lequel ? »

A suivre… Les coureurs ont reçu jeudi 24 octobre un mail de la part de l’organisation indiquant ceci : « Suite à l’annulation des Templiers et afin de pouvoir financer un plan de dédommagement, un comité de pilotage a été constitué avec nos partenaires, les collectivités locales, certains prestataires techniques, afin de bâtir un projet cohérent, et notre organisation reviendra vers vous dès que possible pour le présenter. »